Terra incognita
ensuite…
L’œil de Celma se fit noir lorsqu’elle se redressa, la bouche cruelle.
— Je ne serai pas loin, ce jour-là. Croyez-moi, dame Hélène. Il paiera…
10
Malgré la jalousie de Khalil, Elora n’avait pas mis longtemps à prendre la décision d’intégrer le harem. C’était, à son sens, le seul moyen pour toucher la Khanoum et probablement Mounia.
— Et comment tu en ressortiras, si tu ne peux utiliser la magie ? s’était emporté Khalil en moulinant des bras.
— J’improviserai…
— Pff ! avait-il craché, l’œil noir.
Elora n’en avait pas tenu compte. Deux heures seulement après que le sultan avait posé les yeux sur elle et Nycola donné son accord, un eunuque s’était avancé dans leur campement de fortune, derrière l’église Sainte-Sophie, pour les mener tous trois dans un palais attenant à celui de Topkapi. Bayezid leur accordait une soirée d’adieu.
Le faste et l’attention qu’on leur témoigna rendirent Khalil plus hargneux encore. Il fut grincheux, dédaigna les mets succulents qu’on leur servit, la couche moelleuse. Il finit par s’endormir à l’aube sur les marches extérieures, Bouba contre lui, face aux jardins en contrebas. C’est un serviteur qui, marchant sur la queue du petit singe, sonna un réveil strident à ses oreilles.
Comme un fou, craignant qu’Elora ne soit partie déjà, il se précipita vers la chambre qu’on lui avait allouée. L’eunuque qui lui en avait interdit la porte la veille au soir ne s’y trouvait pas. Il la poussa, le cœur écartelé.
Pour s’immobiliser devant une malle ouverte.
Et Nycola.
— Te voilà donc, fils. Il reste quelques fruits dans le compotier, là-bas.
— Pas faim…
Nycola soupira tristement.
— Te laisser mourir n’y changera rien. Elle ira.
Le cœur suspendu de Khalil se remit à battre. Elora était toujours là.
Pour preuve, elle parut dans l’encadrement d’un portique, les yeux cernés, comme il ne les lui avait pas vus depuis longtemps.
Le remords, songea-t-il, vengeur. Pour bien l’accentuer et tenter de la fléchir, il lui tourna le dos, l’œil froid.
Elora passa près de lui et déposa un baiser sur sa tignasse indomptée. Ensuite, silencieuse, elle rangea dans la malle le peu d’effets qu’elle avait choisi d’emporter là-bas.
Quoi qu’ait pu penser Khalil de sa petite mine, il se trompait. Elora ne parvenait pas, depuis le milieu de la nuit, à s’arracher à un puissant sentiment d’urgence. Alors même qu’elle refusait à sa magie toute existence, elle percevait la pression de Marthe pour la provoquer, la forcer à s’ouvrir. La Harpie était tout près et Elora craignait, d’heure en heure, d’arriver trop tard.
Elle repartit dans le petit cabinet de toilette attenant. Dans peu de temps, une servante viendrait l’habiller et la parer, la rendre digne de pénétrer dans le harem. Là-bas, lui avait-on dit, d’autres se chargeraient de l’épurer par des bains et des massages, jusqu’à la juger prête à sa rencontre avec le sultan.
Fi de tout cela, songea Elora. Elle ne se donnait pas plus de deux jours dans cet endroit. Ensuite, elle s’évaderait. Avec ou, hélas, sans Mounia.
Elle s’immobilisa, du petit linge à la main, face à Khalil qui venait de s’asseoir sur le couvercle de la malle. Les bras croisés et les mâchoires serrées de colère, il était d’autant plus attendrissant que Bouba l’imitait sur son épaule.
— Je ne bougerai pas !
Il bougea.
Et Nycola avec lui en voyant Elora lâcher le linge pour porter soudainement les mains à son ventre. La fraction de seconde suivante, elle s’effondrait d’un bloc, à genoux.
Elora tenta de chasser les affres démentes qui lui pénétraient les pores. Ne parvint qu’à relever la tête et à les effrayer plus encore.
— Je reviens, ne la quitte pas ! ordonna Nycola à Khalil avant de partir à la hâte.
Désemparé face à ce visage qui se creusait jusqu’à avaler les yeux dans leurs orbites, Khalil la prit dans ses bras.
*
Une vision toute de violence avait transporté l’esprit d’Elora en un lieu inconnu, une salle immense meublée à l’orientale que la lumière du jour ne traversait pas. À l’intérieur, Mounia, animée de folie, subissait le joug de Marthe. Jouant du poignard autant que du sabre qu’elle avait arraché à une de ses victimes, l’Égyptienne, rendue indestructible, n’épargnait personne. Ni les servantes affolées ni les
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