Terra incognita
d’aisances. Au-delà, c’était le noir complet.
Elora avait passé les cinq dernières heures à se promener dans le harem pour repérer les lieux. Si l’on exceptait la petite porte qui conduisait aux appartements du sultan, il n’en existait qu’une, solidement gardée. Celle par laquelle elle était arrivée au palais. Tout passait par cette entrée, des repas aux toilettes, des servantes aux eunuques.
Elle s’y dirigea sans bruit, pieds nus sur la mosaïque. Si on l’interceptait, elle pourrait prétendre qu’elle s’était égarée, avalée par l’obscurité. Sa crainte était là, d’ailleurs, dans la brume de ses pensées. Elle devait rester concentrée sur un chemin qu’elle avait mémorisé pour ne pas se perdre vraiment.
Repoussant le souvenir de l’Égyptienne, elle laissa derrière elle la dernière lueur repère et avança en comptant ses pas. Elle pénétra ainsi dans la première salle, évita les banquettes et les tables basses, les plantes empotées. Sans encombre. Elle passa dans la suivante, celle des bassins. Une seconde d’inattention, et le bout de son pied droit affleura le vide. Elle recula sur la margelle. Reprit son souffle. Le moindre bruit, elle le savait, compromettrait son échappée. Lors, à moins d’utiliser ses pouvoirs et de signaler sa présence à Marthe, elle resterait prisonnière… Une seconde d’angoisse qu’elle chassa en reprenant une progression discrète.
Inutile d’affronter une armée d’eunuques si elle pouvait disparaître sans les réveiller.
Elle se trouvait à mi-chemin du cloître au bout duquel se découpait la double porte tant espérée, lorsque la lumière d’une lanterne troua l’obscurité dans le jardin attenant.
On s’en venait par le côté.
Elora se rabattit contre le mur du logement des gardes. Son porteur allait-il revenir au cœur du harem ou en sortir ?
Ils étaient deux, découvrit-elle à la faveur d’un rayon de lune. Une silhouette frêle qui ouvrait la marche, son falot en main, et une autre, massive, qui portait un grand sac sur l’épaule. Ce qu’il contenait devait être pesant, car, malgré sa stature impressionnante, l’eunuque pliait l’échine.
Parvenu à quelques pas de la porte, il trébucha.
— Fais donc attention ! Elle mérite toujours ton respect ! gronda le porteur de lanterne.
La Khanoum, la reconnut Elora à son timbre autant qu’à la déférence du garde qui, sans un mot, venait de lui ouvrir la porte vers l’extérieur.
Son cœur bondit, ramenant son instinct à la surface. Qui d’autre que Mounia, vivante, la Khanoum voudrait-elle faire disparaître aussi discrètement de ce lieu ? Restait à savoir si c’était pour la soustraire à sa curiosité ou pour la livrer à Marthe.
Ragaillardie, elle les laissa franchir le seuil puis leur emboîta le pas.
16
La vue des quatre gardes égorgés sur les chaises qu’ils n’avaient pas eu le temps de quitter, l’un la gueule en arrière, les trois autres le nez sur leur assiettée de soupe débordant à présent d’un sang épais, força Khalil à se rabattre dans le couloir. Une main en appui sur le mur, l’autre soutenant son ventre soulevé de spasmes, il se courba pour régurgiter violemment.
Il lui fallut quelques minutes pour apaiser ses vomissements, brûlant de l’envie de fuir. Ce massacre laissait supposer qu’il y aurait d’autres cadavres sur son chemin. Et au bout, forcément, celui de sa mère puisque Marthe était ressortie seule de la taverne.
Avait-il besoin de le vérifier ? Que représentait en réalité pour lui cette femme qui l’avait fait naître ? Si l’on exceptait le rôle exécrable qu’elle tenait dans ses cauchemars, elle n’était qu’une inconnue. Rien d’autre. Il avait eu une mère. Une mère aimante. Il avait pleuré son trépas aux côtés de Nycola. Fallait-il qu’il se donne de fausses raisons pour recommencer avec Mounia ?
Il remonta deux des marches de l’escalier, avant de s’immobiliser et de s’asseoir lourdement sur la troisième.
À quoi bon se mentir davantage ?
Bien qu’il cherchât le moyen de le nier, il sentait bien que cette femme était importante pour lui. Au-delà des raisons pour lesquelles elle l’avait mis au monde. Au-delà des raisons qui faisaient battre le cœur d’Elora, les liant toutes deux étroitement.
Il soupira en imaginant la déception de cette dernière.
Elle comptait sur lui.
Que penserait-elle de son renoncement ? de sa
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