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Terra incognita

Terra incognita

Titel: Terra incognita Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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Khalil cala son pied sur une anfractuosité de roche, à gauche de la bâtisse et grimpa en quelques secondes, presque aussi lestement que son compagnon.
    La croisée s’ouvrit pour le laisser entrer.
    — Bien joué, Bouba ! le félicita Khalil en le récupérant sur son épaule sitôt avoir refermé.
    La seconde d’après il avançait dans la pièce et son genou butait contre un angle acéré. Outre le juron de douleur qu’il poussa, le bruit que fit l’objet en se renversant sur le plancher se répercuta dans toute la maison.
    La main sur le manche d’un de ses poignards, Khalil ne bougea plus, ne respira plus. Si quelqu’un d’autre se trouvait là, il n’allait pas tarder à surgir.
    Personne ne se montra. Le silence avait repris ses droits. Khalil se relâcha légèrement. Le risque qu’on aperçoive la lueur d’une chandelle depuis l’extérieur était infime, estima-t-il en faisant glisser la bandoulière du sac de son épaule pour y prendre une bougie.
    Quelques secondes plus tard, il s’en félicitait. Ce qui avait été une chambre, à l’intérieur même du roc, était ce jourd’hui encombré des objets les plus divers qui formaient un véritable labyrinthe. Outre le banc de bois qu’il venait de faucher, un lit brisé par le mitan, il enjamba de vieux coffres renversés, de la vaisselle ébréchée, un nid de souris, des traverses et des montants, un tapis à demi roulé et, pour finir, deux tonnelets éventrés dont l’un contenait une portée de chatons.
    Après avoir évité la mère, hérissée de poils, il gagna le palier qu’il balaya de sa mince flamme.
    — À ton avis, Bouba ?
    Le petit singe renifla l’air empestant le renfermé, puis tendit un doigt vers le bas. Khalil avait déjà deviné. Une odeur curieuse venait de lui caresser les narines. Entre la moisissure d’une forêt d’automne et la résine d’un pin saigné en plein été. Assombrie d’un relent de charogne.
    Mais plus encore de sang frais.
    Si détestable que lui soit cette idée, il n’avait plus qu’à suivre la piste que Marthe leur avait laissée.

15
     
    Étendue sur la couche qu’on lui avait attribuée entre deux tentures, juste à côté des appartements de la Khanoum, les bras croisés sous la nuque, Elora songeait que la mort de Mounia lui ayant enlevé toute raison de s’attarder, elle devait attendre que le harem s’endorme pour s’enfuir. Un sentiment contraire la retenait pourtant, contredisant les affirmations de la mère du sultan. Elle s’employait de toutes ses forces à le faire taire. À quoi bon se raccrocher encore au cauchemar récurrent de Khalil ? Elle l’avait pris pour une prémonition. Elle s’était trompée. Mounia ne les attendrait jamais au pied de la tour sombre d’une île battue par les vents. Elle ne les mènerait jamais à Marthe, pas plus qu’elle n’avait commis d’exactions, ici à Istanbul, sous son joug. Mounia était morte, emportée de chagrin.
    Celui d’Elora déborda sur sa joue.
    Ses pensées allèrent du petit Bohémien à Enguerrand. Trop tard, devrait-elle leur dire avant de vivre avec ce sentiment de culpabilité. Ce sentiment humain de culpabilité.
    N’était-ce pas là sa faille ? sa véritable faille ? celle dont Marthe pourrait se servir pour l’anéantir ? Cette profonde, désespérante et irrationnelle humanité en elle. Elle ferma les paupières. L’endiguer… Devenir un instrument au service des Anciens et des Hautes Terres, rabattre ses sentiments pour Khalil qui la rendaient vulnérable… Hier peut-être. Ce jourd’hui elle s’en sentait incapable. Elle avait besoin de cet amour pour nourrir sa lumière intérieure. Besoin de ce trop-plein d’amour en son âme.
    Si elle l’éteignait, les germes maléfiques que Marthe avait plantés en elle durant les premiers mois de son existence ne prendraient-ils pas toute la place ?
    En cet instant, elle ne savait pas. Elle ne savait plus. Elle se sentait vide. D’avoir échoué si près du but.
    Elle demeura quelques instants en proie à ses tourments, puis jugea qu’il était temps de se ressaisir et de quitter la place.
    Elle se redressa sans bruit, ramassa une fine cape de satin sur un tabouret, l’attacha par un crochet à son cou, par-dessus son pantalon et son corsage, puis releva la tenture. La voie était libre.
    Seules quelques bougies allumées le long de l’allée centrale balisaient le passage, permettant à ces dames, la nuit, d’atteindre les cabinets

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