Terra incognita

gagna. Voilà quel avait été le monde d’Algonde. Celui qu’il lui avait imposé. Celui d’où il allait l’arracher. Une joie incommensurable chassa alors sa culpabilité pour emporter tout son être.
    Il en était certain soudain. Ce qui avait été défait serait renoué.
    — Je viens, mon amour, je viens, hurla-t-il, comme si le gargouillis de sa voix avait pouvoir de franchir la distance jusqu’au Furon.
    Il avala une goulée de liquide par le nez, la bouche, se remit sur ses pieds, émergea enfin, toussant, crachant, riant.
    Pour replonger aussitôt dans la triste réalité.
    Depuis le toit, La Malice s’était mis à siffler.
    Les soldats du prévôt arrivaient.

29
     
    Impossible de quitter le château, constata Mathieu sitôt arraché à grand-peine des eaux qui gonflaient ses vêtements. Il se précipita vers les écuries. Les signaux de La Malice étaient explicites. Les soldats s’en venaient nombreux. Alors, débouler sur la grand-route et sous leur nez, il n’y fallait pas songer. Ils n’avaient d’autre recours que se battre. Ici. Maintenant. S’ils se plaçaient en hauteur et à couvert, ils pouvaient espérer en faucher plusieurs de leurs flèches. Ensuite…
    Les deux enfants sur ses talons, aussi rapides à le suivre qu’ils l’avaient été à s’extirper du parc à gorets, il rejoignit son compère pour s’entendre avec lui sur le meilleur angle de tir. La Malice achevait de descendre du toit sous l’œil réprobateur du palefrenier, agacé autant que ses bêtes par ces sifflements dont il avait eu du mal à trouver l’origine.
    Anticipant ses vociférations, Mathieu s’excusa et le repoussa à l’intérieur de l’écurie. La Malice sauta à terre, devant Petit Pierre qui, aussitôt, se jeta contre lui. Ils ne s’accordèrent que le temps d’une accolade affectueuse avant que La Malice ne se retourne vers Mathieu.
    — On s’embusque ?
    — Vaille que vaille.
    — Les archères du grenier, jaugea La Malice qui avait déjà évalué leurs chances.
    — J’en suis, décida Petit Pierre.
    Légèrement en retrait, Mayeul se mordait l’intérieur de la joue droite, les sourcils froncés sur une réflexion intense.
    La gorge nouée, Mathieu s’accroupit devant son fils, froissa la tignasse dégoulinante. Quelques restes de boue s’y accrochaient encore, mais le temps n’était plus à la toilette.
    — Je ne crois pas, non. Il vaut mieux pour nous tous que Luirieux continue d’ignorer que tu es en vie. Cours te cacher et ne te montre pas. Même si je suis pris.
    C’est à cet instant que, se décidant, Mayeul s’interposa, la voix basse.
    — Ça n’arrivera pas. Je connais un autre moyen de sortir de là.
    Une bouffée d’espoir regagna les deux brigands.
    — Mène-nous, décida avant eux Petit Pierre.
    Ils s’élancèrent derrière la silhouette difforme. S’il était vrai que les bossus portaient chance, alors ils auraient peut-être celle de s’échapper.
     
    La vieille Malissinde manqua s’étrangler de surprise en découvrant Mathieu derrière les deux garçons.
    — Pas le temps de goûter à ta cuisine, vieille chouette, mais tu m’as manqué, la salua le brigand en bisant son chignon d’un blanc jaunâtre.
    Elle retrouva aussitôt l’élan de tendresse bougonne qu’il avait toujours éveillé en elle, avant de s’indigner en voyant La Malice décrocher un jambon du clou qui pendait à la poutre maîtresse et Petit Pierre s’emparer d’une gourde de vin.
    — Holà ! vauriens ! Que croyez-vous faire avec ça ?
    — Faut qu’on parte, mamie.
    Malissinde opéra une volte-face étonnante au vu de son vieil âge et de ses rhumatismes, s’immobilisa en chancelant devant Mayeul qui venait de parler d’une voix aussi troublée que déterminée. De la besace qu’il avait jetée sur sa bosse dépassaient quelques vêtements.
    — Où ça ? Où ça faut que tu partes, chenapan ? Alors quoi ? Qu’est-ce qui se passe dans cette maison ?
    Mathieu s’intercala pour la prendre aux épaules. Accrocha le regard inquiet.
    — Je te le renvoie dès qu’il nous aura ouvert le chemin. Dès que les soldats du prévôt seront repartis.
    — Des soldats ? Où ça ? Pourquoi ?
    Pour toute réponse, Mathieu la bisa de nouveau, sur le front. Elle rougit, comme autrefois lorsqu’il faisait de même avant d’aller enfourner le pain de la maisonnée. Quand elle se ressaisit, ils n’étaient plus là.
     
    Prenant la petite porte de