Terra incognita

jugé trop isolé, au profit d’une autre église, ils ne couraient ce jourd’hui aucun risque d’être importunés.
    Elle rangea sa rapière au côté, passa dans le chœur. La désolation y régnait malgré la bienveillance d’un saint Antoine de bois peint qui répondait au Christ sur sa croix. Des bancs étaient renversés, les solives peuplées de volatiles. Le regard de Celma s’arrêta sur un vitrail bas.
    — Éclate-le, ordonna-t-elle.
    Pendant que Briseur s’emparait d’un banc pour le manœuvrer tel un bouclier, Celma courut récupérer les enfants. Il y avait trop de poussière et d’excréments à terre. Si tous ne laissaient pas de traces, donnant à croire aux soldats qu’ils avaient quitté la place et gagné la forêt, leur ruse serait sans effet.
    Elle leur expliqua vitement ce qu’elle attendait d’eux. Soutint Jean pour qu’il laisse sur les dalles une empreinte plus marquée. Briseur, qu’elle avait, en quelques mots, renseigné sur ses intentions, avait déjà agi de son côté. Lorsque tous trois parvinrent devant la croisée défoncée, ils le virent qui revenait à grandes enjambées et en marche arrière sur le sentier qu’il avait tracé dans les hautes herbes jusqu’à trouver celles que des paysans venaient de faucher. Ils n’eurent plus, de leur côté, qu’à faire de même jusqu’au souterrain.
    Lorsqu’ils y reprirent leur progression, la lanterne abandonnée dans la sacristie pour mieux donner le change, ce fut le cœur plus léger. Toute trace qui pouvait indiquer leur véritable destination avait été effacée. Avant que la soldatesque se rende compte de son erreur, plusieurs heures se seraient écoulées à les chercher dehors.
    Ils étaient sauvés.

31
     
    Mayeul n’ayant pas été en mesure de leur dire si le castel vers lequel ils progressaient était habité ou non, Mathieu avait jugé plus prudent de continuer sa route souterraine le plus loin possible. À l’abri des murs de roche, le pas tranquille, il avait apprécié d’écouter le petit bossu lui raconter son enfance avec Elora, Petit Pierre son périple depuis Romans. Attendri par les prouesses des deux enfants. De ses deux enfants. Par moments, le souvenir d’Algonde dans les eaux souterraines le poignardait d’une pique en plein cœur. Il concevait mal son alliance avec Fanette telle que Petit Pierre l’évoqua. Il concevait mal cet élan d’amour qui avait rattrapé la brigande. Et pour autant se trouvait réconcilié, par son sacrifice, avec la Fanette de son enfance. À mots choisis, de son côté, il avait répondu aux questions de Petit Pierre. Non, sa mère n’était pas morte sur le gibet. Elle avait choisi sa fin. Elle s’était racheté une âme. L’enfant avait hoché la tête. Satisfait finalement de ne plus avoir à l’imaginer se balançant comme les autres au bout de la corde.
    Moment intense à faire le deuil du passé. Avant d’affermir leur pas vers un devenir incertain dans lequel s’inscrivaient des évidences. Délivrer Algonde. Rejoindre Elora. Et recommencer. Ailleurs.
    Ailleurs.
    Dans les Hautes Terres, avait affirmé Mayeul, convaincu depuis longtemps par Elora.
    Dans les Hautes Terres, avait médité Mathieu.
    Pourquoi pas ?…
    Il s’était fait à cette perspective lorsqu’ils se retrouvèrent enfin au bout du tunnel, face à un escalier. Ils le gravirent jusqu’à atteindre un premier palier d’où, de nouveau, des marches grimpaient jusqu’à toucher le plafond.
    — Il doit être descellé, nota La Malice.
    Ils cherchèrent le mécanisme. Finirent par dénicher une saillie dans la roche, masquée par le jeu des ombres de leur lanterne. La Malice y enfonça sa main fine. Rencontra un ergot. Le manœuvra. Leva les yeux vers la pierre. Reçut de la poussière sur son nez aquilin. Éternua. Une fois. Deux fois. À la troisième, la plaque avait déjà glissé de moitié, ramenant à leurs narines une odeur âcre de moisissure.
    La Malice dégagea sa lame du fourreau. Mathieu abrita les deux enfants derrière lui. Leur instinct à tous deux leur affirmait que ce ne serait pas la forêt qui s’ouvrirait à eux. Mayeul se mordit la lèvre. Il ne pouvait s’être trompé de chemin, pourtant. Ils n’en avaient pas vu d’autre.
    La Malice disparut par le trou. Après quelques secondes, leur silence angoissé fut brisé par un trille.
    La voie était libre. L’arme au poing pourtant, Mathieu passa à son tour. Ils étaient dans une crypte et venaient