Terra incognita
devant une issue. La porte était verrouillée par une serrure identique à celle qu’ils avaient dû forcer dans le cellier de la maison forte. Au-delà, le souterrain continuait dans sa nuit d’encre.
— Que faisons-nous ? demanda Celma à Briseur qui examinait les gonds, rouillés.
— L’ouvrir nous prendrait beaucoup de temps, grimaça-t-il.
Jean, qu’il avait déposé à terre, chercha l’appui de la paroi et s’y adossa aux côtés de Bertille, essoufflée. S’ils avaient perdu la notion des heures, la faim et la fatigue les tiraillaient d’autant plus qu’ils avaient, depuis la blessure du garçonnet, couru autant que possible.
— Combien, Briseur ? insista Celma.
Il secoua la tête, impuissant à répondre. La devineresse se mit à arpenter l’étroit corridor de pierre. Combien d’avance possédaient-ils ? Deux heures ? Moins peut-être. Ils n’entendaient plus rien depuis un moment. Aucun bruit de cavalcade comme ils l’avaient imaginé. Les soldats de Luirieux prenaient-ils leur temps, certains de les cueillir au bout ? En surface ? Ou de l’intérieur si, par malchance, la sortie était murée ? Bertille n’avait pas eu d’autre vision et Celma s’était refusée à les retarder davantage en jetant ses runes. Il fallait se décider. Un regard sur les deux enfants que Noiraud veillait avec bienveillance. Ils ne tiendraient guère plus la cadence. Sans compter qu’à l’extérieur ils ne seraient pas moins vulnérables. Non. Leur seule chance, peut-être, résidait en la sottise de la soldatesque.
— Force-moi ce battant, décida-t-elle.
Briseur cracha dans ses mains, les frotta l’une contre l’autre puis enfonça dans la serrure le stylet qui ne le quittait jamais.
De son côté, Celma ouvrit la besace dans laquelle elle avait rangé ses médications. Elle en extirpa l’onguent qu’elle achevait de préparer lorsque Bertille l’avait alertée. Il faisait merveille sur les foulures et entorses. Elle en avait soigné plus d’une avec, à Choranche.
— Déchausse-toi, Jean. Quant à toi, ma fille, tranche du lard et du pain. Puisque nous ne pouvons rien faire d’autre, autant récupérer nos forces.
Et, sans plus attendre, tandis que Briseur et Bertille s’activaient chacun de leur côté, elle se mit à masser la cheville gonflée.
Pour avoir manœuvré longuement la précédente serrure, Briseur ne mit qu’une dizaine de minutes à faire céder celle-ci.
Le pied de Jean remis et bandé, la devineresse venait tout juste de reboucher son pot. Elle se sentit aussitôt soulagée. La chance était de leur côté. Elle tendit une petite fiole à Jean dont les larmes avaient coulé en silence pendant qu’elle le soignait.
— Trois gouttes sous ta langue. Pas davantage ou tu t’endormirais.
Ainsi fut fait. Celma récupéra sa médecine, tapota affectueusement la joue de Jean, avant de se redresser.
— Restez ici. Nous ne serons pas longs.
— Nous ne sortons pas ? s’étonna Bertille qui avait déjà commencé à rassembler leurs affaires.
— Non, j’ai une meilleure idée, lui lança sa mère avant de disparaître par le battant, derrière Briseur qui, déjà, s’y était risqué.
Au bout de quelques toises d’un nouveau boyau, ils rencontrèrent une autre porte qui pendait lamentablement sur une charnière. Un rai de lumière poussiéreuse les invita à la franchir dans un silence épais que troublait le roucoulement, lointain, de pigeons. La petite pièce baignée de lumière dans laquelle ils pénétrèrent leur indiqua aussitôt qu’ils se trouvaient dans une sacristie. À en juger par les toiles d’araignées qui pendaient aux murs, elle n’avait pas été utilisée depuis longtemps.
Ils relâchèrent leur tension, traversèrent la salle. À l’instant de franchir un autre battant, Celma remarqua une longue traînée écarlate qu’un rai de lumière descendu d’un vitrail éclairait de son regard oblique.
— Je sais où nous sommes, s’exclama-t-elle, faisant sursauter Briseur. La chapelle de saint Antoine de Padoue.
— Celle qui a été fermée il y a une dizaine d’années ?
Celma hocha la tête. Elle se souvenait de cette histoire qui avait fait le tour du comté. D’autant plus que c’était à leur bande qu’on avait imputé le meurtre sauvage d’un abbé. Quelques jours avant le grand tournoi pour les épousailles d’Antoine de Montchenu à Romans.
Les fidèles ayant ensuite déserté l’endroit,
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