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Terra incognita

Terra incognita

Titel: Terra incognita Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Mireille Calmel
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d’en face. Une traînée de sang séché l’obscurcissait. Elle se sentit aspirée par un vertige. Une fraction de seconde, elle se retrouva dix ans en arrière, revit Enguerrand s’y appuyer, la poitrine barrée d’une flèche, le souffle coupé. Elle se détourna pour chasser l’image mais ne sut qu’en retrouver une autre, près du battant repoussé. Celle de son père, Aziz ben Salek, qui s’y était agenouillé pour mourir, transpercé de part en part par une épée. Ses yeux se brouillèrent. La main sur ses lèvres pour étouffer un cri, elle voulut reculer, buta contre quelque chose à terre, tenta de se rattraper au battant, et, de ce fait, en lâcha sa lumière.
    Sa première impulsion fut de fuir ses souvenirs. Elle la contint en voyant la flamme, un instant mouchée, reprendre vigueur. Elle se baissa pour ramasser le falot. Remarqua la ligne de bois qui affleurait du sol. Les yeux détrempés par les larmes, elle l’épousseta, sans réfléchir.
    Jusqu’à découvrir qu’il s’agissait d’une croix.
    Enguerrand.
    Enguerrand les avait enterrés là, imagina-t-elle en tombant à genoux, relâchant enfin, dans le silence de cet endroit maudit, tout ce qu’elle avait emprisonné en sa mémoire de détresse et de désarroi.
    *
    Ce fut la main de Khalil sur son épaule qui l’en arracha.
    — Viens… Viens, maman…
    Il souriait. L’œil empli d’un amour qui n’avait fait que croître au fil des jours, des semaines.
    Elle se leva.
    Tourna le dos à ses parents, unis dans la mort comme ils l’avaient été dans la vie. Les doigts de Khalil se nouèrent aux siens. Elle les serra.
    Débarrassés de leurs montures qu’ils avaient attachées sous le cloître, Nycola et Elora les attendaient devant la façade principale.
    — Suivez-moi, dit-elle en entraînant Khalil en haut des marches.
    D’un pas lent qui résonnait sur le marbre des pièces vides, elle refit le chemin que lui avait ouvert son père. Sans hésitation, elle retrouva la trappe dans le sol, le mécanisme pour la faire basculer, l’escalier puis le long tunnel souterrain qui menait à la première des salles 9 . Il lui fallut tout ce temps pour regagner son allant et l’excitation qui l’avait saisie ce jour-là, en découvrant la stèle centrale percée d’une forme pyramidale à la lueur des lampes perpétuelles qu’alimentait, goutte à goutte, l’huile de roche tombée du plafond.
    Face à ce qui ressemblait à un conduit d’aération, elle leur recommanda, comme Aziz en son temps, de prendre de l’air en réserve et de ramper calmement derrière elle.
    Dix minutes plus tard, les uns derrière les autres, ils parvenaient dans la chambre mortuaire baignée d’ombre. Mounia y promena son falot pour s’en réapproprier l’espace.
    Un petit cri de stupeur et d’incompréhension lui échappa.
    De l’ordonnance des objets autour du sarcophage, il ne restait plus rien. Brisés, les statuettes et les vases ; renversés, les paniers et le pectoral. Quant au tombeau lui-même, le couvercle en avait été arraché et projeté sur le côté.
    Elora s’y avança.
    Depuis de longues minutes, elle s’était emmurée dans un silence prudent, reprise par ce sentiment de menace que l’ombre de Marthe laissait planer au-dessus d’elle. Son odeur était partout dans la pièce, obscurcissant encore celle, étouffante, qui y régnait naturellement.
    — Enguerrand ne peut pas être responsable de ce carnage, affirma la voix brisée de Mounia.
    Elora se retourna vers elle. Khalil et Nycola la fixaient avec le même regard d’angoisse.
    — C’est Marthe…
    Mounia frissonna sous l’œil acéré d’Elora. Elle hocha la tête. Elle ne se souvenait pas. De rien. Mais l’évidence était là.
    — C’est sûrement moi qui l’ai menée là, lâcha-t-elle, blanche.
    Ils ressortirent en silence.
    L’endroit était peu approprié à l’usage qu’Elora avait décidé d’en faire. Une fois revenus dans la salle principale, elle les fit asseoir en cercle au pied de la stèle.
    — Je ne vois que l’hypnose pour répondre à nos questions et te dégager de ta culpabilité, Mounia, proposa-t-elle en lui souriant avec confiance.
    L’Égyptienne hocha la tête.
    — Des cauchemars me rongent depuis notre départ d’Istanbul, depuis que vous avez évoqué cette Marthe à mon chevet. Dans l’un, je la vois me remettre le poignard et me demander de tuer la Khanoum, dans l’autre me forcer à reproduire la carte de mon père

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