Terra incognita
qu’elle avait autrefois dérobé à Djem, elle avait fini par découvrir un mécanisme discret à la jointure du carré que formait le fond. Enclenché, il permettait à la dentelle de s’ouvrir en une fleur délicate.
Elle l’avait activé puis mis sur un des emplacements.
— Leur disposition évoque la constellation d’Orion, telles les pyramides du plateau de Gizeh qu’a fait construire Osiris, mais j’ignore le langage de cet entrelacs de fils. D’autant qu’il est différent d’un flacon à l’autre. Peut-être chacun d’eux permet-il de lire une des couches de la carte. Évidemment, ce n’est qu’une hypothèse. Et bien sûr pas leur seule fonction puisque l’élixir qu’ils contenaient possédait de miraculeuses propriétés.
Marthe avait piqué son doigt sur le sommet de la pyramide. L’orifice de récupération du liquide était de la taille d’une tête d’épingle et recouvert de cire. Une seule goutte guérissait toute maladie. Deux ramenaient à la vie. Cent la prolongeaient de plusieurs décennies. La totalité offrait l’immortalité. Voilà pourquoi l’ensemble était si précieux aux Anciens. Utilisé à bon escient, ce nectar leur avait offert une vie quasi éternelle. En les en privant, Morlat avait signé leur mort. Lente, mais inéluctable. Et la fermeture des passages vers la Terre.
Marthe avait cru judicieux d’éclairer les quelques zones d’ombre dans lesquelles Mounia baignait encore, certaine que chaque élément avait son importance pour raviver ses souvenirs.
— De ce que j’en sais, la table reposait tout en haut d’une tour de cristal, juste au-dessus d’un flux d’énergie pure qui à la fois s’éparpillait en rivières autour de la cité des Anciens et remontait du sol tel un geyser. Sa puissance était telle qu’il aurait fait éclater la table s’il n’avait été régulé par un djed.
Mounia avait acquiescé.
— Depuis toujours mon père était persuadé que le djed n’était pas qu’un simple pilier ornemental.
— Il avait raison. Mais le djed ne servait pas que de régulateur. Une fois l’énergie accumulée en lui, il pouvait la restituer à d’autres objets, tel le benben dont Osiris était le gardien et qu’il avait utilisé pour construire ses gigantesques ouvrages. Tu sais de quoi je parle, n’est-ce pas ?
— Oui. D’une pierre en forme de pyramide. On lui prête des propriétés étonnantes, aussi dangereuses que bénéfiques. À la mort d’Osiris, elle fut enchâssée à l’intérieur de la stèle de diorite que nous avons découverte près de son tombeau. Sans doute pour la soustraire à la cupidité de Seth.
Marthe avait frotté l’une contre l’autre ses mains noueuses. Ses yeux rétrécis dans leurs orbites noires et profondes l’avaient fixée d’une lueur étrange.
— Sais-tu qui était Seth en réalité ?
— Le frère d’Osiris, qui le tua par deux fois, selon les écritures. La première par la ruse en l’emprisonnant dans un coffre qu’il jeta au Nil et dans lequel Osiris se noya. Puis, en le découpant après que son épouse Isis l’eut repêché et mis en sépulture. L’histoire raconte qu’elle parvint à recoller les morceaux et à lui insuffler suffisamment de vie pour qu’il la féconde d’Horus.
Mounia avait tiqué, frappée par l’évidence :
— Vous pensez qu’Isis se servit de l’élixir contenu dans les flacons pyramides pour ressusciter Osiris, n’est-ce pas ?
Marthe avait acquiescé d’un mouvement du menton. Déjà Mounia avait suivi le fil de sa pensée.
— Osiris ne survécut pourtant que quelques heures, le temps d’engendrer Horus. Pourquoi ? Parce que le flacon pyramide avait été vidé au préalable ? Par Morlat avant que le navire coule ? En ce cas, comment Isis l’aurait-elle obtenu ? En le repêchant près du corps d’Osiris ?
Un petit cri de surprise avait rattrapé Mounia au souvenir d’une des fresques entraperçues dans le tombeau d’Osiris. La barque qu’elle représentait emportait Seth vers Osiris. Au-dessus d’elle grondait le tonnerre. En dessous, Apophis, le maître des abîmes, claquait de la queue pour la faire chavirer.
— Seth ! Morlat et Seth n’étaient qu’une seule et même personne…
Marthe avait approuvé.
— Survivant du naufrage, Seth Morlat gagna l’Égypte où son frère Osiris s’activait à sa tâche. J’ignore s’il sauva tous les flacons pyramides, mais sans doute espérait-il tirer profit
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