Terra incognita
du benben d’une manière ou d’une autre.
— Il n’obtint pas le benben. Manéthon, un poète grec bien plus proche de nous que ces événements-là, assure l’avoir contemplé dans la salle que nous avons visitée.
Marthe avait semblé noter ce détail avant de poursuivre.
— Quoi qu’il en soit, à la mort d’Osiris, insatisfait de régner sur les déserts, seul territoire que son frère lui avait consenti, Seth Morlat disputa à Horus le trône d’Égypte. Il ne pouvait regagner les Hautes Terres où son tribunal l’attendait, mais il avait des arguments pour convaincre les Sages encore vivants de soutenir sa cause dans le monde des humains. D’autant plus qu’ils étaient désormais trop affaiblis pour se dresser contre lui. Son argument était simple. Il leur échangeait leur soutien contre un des flacons pyramides. Son contenu était suffisant pour les sauver.
— N’aurait-il pas été plus judicieux pour eux de réclamer la table de cristal ?
Réservant sa réponse, Marthe avait contourné le vaste plan de travail et s’y était appuyée de la jointure de ses poings pour darder sur Mounia, suspendue à ses lèvres, un regard terrifiant.
— Comme tu le sais, Seth n’obtint pas davantage le trône d’Égypte qu’il ne fut, auparavant, autorisé à siéger au conseil des Anciens en place de son père Geb Morlat. Il prit donc son mal en patience. Jusqu’au jour où son seul défenseur, le Suprême, ayant vu s’éteindre un à un ses compagnons, lui envoya Merlin pour parlementer. Bien que le mage ait bénéficié en son temps d’une importante dose d’élixir, il était alors, comme Rê, affaibli et proche de succomber. Or les Hautes Terres se voyaient menacées par un effroyable danger. Rê et Merlin avaient besoin d’aide pour lutter. Et survivre. Seth Morlat accepta. Autant par orgueil que par lassitude des étendues rouges d’Égypte.
Mounia s’était mordu la lèvre.
— Il a donc regagné les Hautes Terres.
— Oui. Des siècles durant, la menace demeura sourde. Mais, si j’en crois ce que Présine, ma propre mère, a raconté à Algonde, il y a environ cinquante années de cela, une créature plus noire que la nuit trouva enfin dans une profonde faille sous-marine la table de cristal qu’elle recherchait et, visiblement, le moyen de la lire. Comment, nul ne le sait, mais elle l’utilisa pour s’emparer des Hautes Terres.
Mounia était devenue blanche. Un nom, un seul lui était venu à l’esprit. Terrifiant.
— Aapef…
Marthe le lui avait confirmé de son souffle puant et glacé.
— Oui. Apophis. Le mal incarné. Crois-moi, ma belle, à côté de lui, je suis la bonté.
La nuit précédant l’intervention d’Elora et Khalil, Mounia, à bout de forces, lui avait remis la carte. Sur elle se trouvait le passage vers les Hautes Terres que seul le dernier flacon pyramide permettrait de localiser.
En échange, Marthe lui avait donné le poignard pour se protéger de la Khanoum qui, selon elle, voulait l’assassiner.
*
— Je ne saurai dire ce qui m’a empêchée d’occire la mère du sultan, avoua Mounia sous l’emprise encore de l’hypnose. L’affection que je lui portais sans doute. Ou ma trop grande faiblesse. Ces nuits d’insomnie, ces jours de folie m’avaient entraînée plus loin dans la mort que Marthe sans doute ne l’avait imaginé. Je ne comprends pas pourquoi elle est revenue. Je me souviens d’un goût amer dans la bouche et de sa voix m’enjoignant de tenir jusqu’à ton arrivée, Khalil.
Sur ces derniers mots, elle se tut.
Durant quelques secondes, Elora, Khalil et Nycola échangèrent un regard sombre face à ces terrifiantes révélations. Aucun d’eux n’osa briser le silence dans lequel Mounia semblait dormir, apaisée.
Il fallait le rompre, pourtant.
Elora claqua des doigts.
Mounia ouvrit les yeux.
— Ai-je été loquace ? demanda-t-elle, incapable de se souvenir de quoi que ce soit.
— Plus que nous ne l’avions espéré, consentit Elora avant de lui en faire un résumé.
Il en ressortit que Marthe était désormais en route pour une Terra incognita que Mounia lui avait désignée au Nord. Mais plus encore qu’elle était à la recherche du benben. Sans doute comptait-elle sur sa puissance telle que décrite par Manéthon pour se protéger d’Elora ou d’Apophis.
Peu importait en fait.
La question était de savoir si elle l’avait trouvé dans la chambre mortuaire.
Ils n’y découvrirent aucun
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