Terra incognita
félins qui peuplaient la contrée. Mounia avait, quant à elle, et aux portes du désert, fait provision de tiges et feuilles de palmier qu’elle avait liées derrière sa selle.
Sitôt qu’ils auraient mis pied à terre, ils festoieraient.
— Eh non, plus de dattes, Bouba, tu les as toutes mangées ! sermonna Khalil, agacé, derrière elle.
Elora tourna la tête de quart pour voir le petit singe, debout entre les genoux de son maître, s’entêter à secouer le sacquet.
— Un peu de patience. Nous arrivons, les rassura-t-elle devant leurs traits tirés.
Mounia accéléra le pas de sa monture et vint la ranger à ses côtés.
— Nous allons au petit temple d’Hathor, n’est-ce pas ? demanda-t-elle.
Son doigt tendu en direction d’un haut mur d’enceinte en retrait des habitations à l’abandon fit hocher la tête à Elora, puis demander :
— Qui est Hathor ?
Mounia tiqua.
— Tu ne le sais pas ?
Elora se mit à rire.
— Pas plus que je ne savais la signification de vie éternelle de l’ ankh avant que tu ne me l’apprennes.
Leur complicité s’était nouée en quelques minutes, là-bas, à Istanbul. À l’inverse de Khalil qu’elle continuait de voir comme un enfant, son enfant malgré sa stature d’homme, l’Égyptienne ne parvenait à retrouver la fillette dans cette femme à ses côtés. Elles étaient devenues des amies. Presque des sœurs. En dépit de ce lien puissant, Mounia restait perplexe souvent face à ses réactions, ses absences et sa connaissance intuitive qui la faisait échanger avec les autochtones ou se diriger dans un lieu inconnu. Alors que, curieusement, l’essentiel semblait lui échapper.
— Hathor était considérée comme la déesse de la Festivité et de l’Amour, mais aussi de la Lumière.
Elora hocha la tête.
— Alors ce lieu va de soi.
— Oui. Je l’ai compris en te voyant obliquer à gauche des colosses de Memnon… Tu craignais de te tromper ?
Elora s’attarda sur cet angle de muraille qu’ils venaient d’atteindre.
— C’est une sensation déroutante, en vérité. Lorsque Nycola m’a donné l’ ankh, ma seule certitude fut qu’il ouvrait une porte secrète en Égypte. C’est un peu comme si chaque pas induisait le suivant, comme si ma mémoire se réactivait par petites touches, selon son besoin. Pourtant, comme tu le sais, je ne suis jamais venue ici auparavant.
— Une mémoire antérieure, donc…
— Oui.
— Celle d’Hathor ?
Elora sourit.
— Peut-être. Nycola devait remettre la clef à la reine de lumière…
— Mais il ignore qui l’a donnée à son ancêtre. C’est étrange, tout de même, ces mémoires effacées.
— Il faut croire que le secret de ces lieux l’impliquait.
Mounia accorda quelques secondes à ce constat et au lent pas chaloupé de son dromadaire, avant de poursuivre :
— J’ai visité cet endroit avec mon père, du temps où il se passionnait pour les vallées des reines et des rois. En fait, ce sont les ouvriers du village qui en bâtirent les tombeaux, génération après génération. Je ne sais pas trop ce qui avait attiré mon père ici, je me souviens seulement qu’il était resté des heures dans le temple. Il le rapprochait par certains reliefs de celui de Dendérah, sur l’autre rive du Nil.
— Et que représentaient-ils, ces reliefs ?
— De mémoire, une sorte de tube oblong qui émettait de la lumière. Ceux de Dendérah étaient retenus par un djed d’un côté et un géant de l’autre. Il pensait que c’était un savoir qu’Osiris avait rapporté des Hautes Terres en même temps que le benben. Le temple de Dendérah est lui aussi sous la protection d’Hathor.
Elora hocha la tête. Cette description lui évoqua quelque chose de familier, mais elle ne parvint à se le réapproprier. Près d’elle, Mounia poursuivait, à l’ombre des murailles qui les dominaient.
— En fait, ce temple est une contradiction. Les personnages représentés sur les fresques semblent le dater de l’époque ptolémaïque, mais père était convaincu qu’il était beaucoup plus ancien et que, malgré l’omniprésence d’Hathor, c’était Seth lui-même qui en avait ordonné la construction.
Elora sursauta sur sa selle.
— Nous sommes sur son territoire ?
— Oui. De même que tous les déserts d’Égypte.
Elora ne répondit pas. Un pronaos venait de se découper dans la muraille. Elle tira sur le mors pour guider vers lui son dromadaire, puis
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