Terra incognita
participé que j’ai pleuré devant la copie de cristal qu’il avait fait naître sous ses doigts.
« De gardien, je peux le dire, je suis devenu son ami, lui jurant de nouveau fidélité et silence lorsqu’il m’annonça que sa tâche en ce monde était achevée et qu’il allait regagner le sien pour tenter de le sauver. De se sauver. Car, en vérité, il était fatigué. Il disait… Comment disait-il déjà ? Oui, voilà… “Ma vie s’amenuise à grands pas. Si j’avais dû tarder encore, elle se serait achevée là.”
« Il riait en tapotant ma joue.
« Ce me fut pourtant une déchirure de le voir partir, malgré les richesses qu’il nous laissa pour adoucir notre devenir.
« Mais moins encore que de le voir reparaître, quelques mois plus tard, affaibli et douloureux, une fois le sanctuaire réaménagé. Je ressentis une profonde, une indélébile tristesse lorsqu’il referma mes doigts sur l’ ankh, là-bas, dans le sanctuaire. J’ai pleuré. Moment terrible. J’ai pleuré en refermant la porte sur lui. En l’emmurant dans son tombeau. J’ai pleuré encore en préparant l’enduit sur les murs, en peignant la plume de Maat. J’ai pleuré en invoquant Anubis. “Plus de gardien, avait dit le Géant. Fini. Plus de gardien en terre d’Égypte. Si tu reviens, tu mourras. Trouve la reine de lumière. Si ce n’est toi, que ce soit ton fils, et son fils après lui. Elle saura venir à moi. Elle et elle seule.” Ne rien dire. Plus rien. À personne. Jamais… »
Le vieil homme était mort sur ces mots.
Nycola avait demandé quelques jours plus tard si son grand-père était né en Égypte. On lui avait répondu que non, que leur peuple venait des rives de l’Euphrate. Délire de mourant, avait conclu Nycola.
Il se souvenait à présent de cette sensation qu’il avait ressentie lorsqu’il avait pris le relais de son père pour rechercher la reine de lumière. Son père avait été incapable de lui en dire davantage, il savait seulement que d’elle émanerait un halo bleuté qui la lui ferait reconnaître entre toutes. Khalil en était auréolé, c’est la raison pour laquelle Nycola s’était précipité pour le racheter à l’eunuque.
Ce jourd’hui, 11 juin, le ciel qui s’embrasait dans son dos gagnait l’azur tout entier. Il sourit au milieu de la tristesse qui l’avait gagné. Son grand-père aurait été heureux de savoir qu’il était là à admirer cette palette, comme lui-même l’avait fait tant de fois, mais plus encore qu’un des siens avait tenu sa promesse à Merlin.
Il se leva, s’approcha du bord et fouilla l’ombre au pied des ruines romaines. Il repéra la flèche. Elora l’avait laissée au flanc du chacal. Elle n’était plus ce matin que piquée dans le sable.
La reine de lumière avait vraiment vaincu Anubis.
L’avait-elle fait en pleine connaissance de ce savoir ou par pur instinct ? Il ne le lui demanderait pas.
Nycola gonfla son torse puissant.
Il serait digne de l’honneur que son grand-père lui avait légué en mourant. Il se plierait à la volonté d’Elora. Si elle taisait sa découverte, alors lui-même oublierait pourquoi il l’avait menée là.
43
Lorsque Elora trouva Khalil assis contre la paroi du souterrain, nuque renversée en arrière et bouche ouverte sur un ronflement sonore, un sentiment de tendresse la faucha. Il s’était endormi, comme elle l’avait vu faire de nombreuses fois lorsqu’il avait l’esprit en paix. Le sien l’était aussi, malgré les circonstances. Mais elle était épuisée. Elle se glissa près de lui, les yeux rivés sur la roue de pierre qui venait de se refermer. Elle avait besoin de repos. Ensuite, il lui faudrait affronter ce que Merlin lui avait révélé.
Khalil perçut sa présence au moment où elle abandonna sa tête contre son épaule. Il ne bougea pas. Le souvenir d’un rêve le retenait encore, en place du cauchemar qui, pendant des années, l’avait perturbé. À son commencement, la scène était la même, pourtant. Il chevauchait au milieu d’autres cavaliers dans un paysage de landes et de marais. Soudain, un castel, impressionnant en dépit de sa petite taille, se dressait devant eux. Ils pénétraient dans sa cour déserte. Et Mounia l’accueillait. Était-ce de l’avoir retrouvée qui avait modifié la suite ? Khalil l’ignorait. Mais une chose était certaine : à l’instant où Mounia le menait à Marthe, un éclair bleu les traversait tous deux et la
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