Terra incognita

illumina la tache de sang qui avait marqué la pierre de l’endroit, quelques pouces plus bas.
    — Mordius ! fut tout ce qu’il trouva à dire avant qu’elle explose de rire.
    *
    Quelques minutes plus tard, rappelé à la nécessité de quitter les lieux, Khalil était rhabillé et fouillait sa besace pour en extraire les bâtons d’amadou qu’il était persuadé y avoir fourrés avant de partir. Il étouffa un juron. Faudrait-il donc qu’il renverse tout pour enfin atteindre ce qu’il cherchait ?
    À quelques pas de lui, Elora était prête à reprendre la route.
    Pas à la volonté de Merlin. Le mage craignait la vengeance d’Apophis et l’usage inconsidéré que son ancien assistant pouvait faire du benben, s’il venait à le découvrir. À part elle qui était capable de faire barrière à une introspection, nul ne devait connaître le secret du sanctuaire. Pas même Khalil.
    Écartelée, elle se glissa derrière lui alors qu’il s’exclamait.
    — Je les ai ! Il n’y a plus qu’à approcher la chandelle.
    Elora sentit son cœur se serrer. Lui pardonnerait-il un jour ?
    — Te souviens-tu de l’endroit où nous avons posé le lanterneau ? insista le petit Bohémien avant de sentir ses tempes s’échauffer.
    — Eh là ! Que fais-tu ?
    Elle ne répondit pas, concentrée sur sa nuque.
    Khalil n’eut pas le temps de s’étonner plus avant. Il eut l’impression d’être aspiré en arrière.
    Elora ne fit rien pour l’empêcher de tomber. Personne avait répété Merlin. Non, personne à part elle ne devait savoir où il reposait.
    *
    Une minute plus tard, Khalil reprenait conscience, allongé au sol, et Elora, agenouillée près de lui, l’aidait à se rasseoir.
    — Aïeeee ! se plaignit-il en voulant porter la main à son crâne.
    Elora la lui repoussa fermement.
    — Il ne sert à rien que tu touches. Laisse-moi te soigner.
    — Comment est-elle ?… Ma bosse, comment est-elle ?
    Elora soupira.
    — Comme un œuf de pigeon. Ne pouvais-tu pas attendre avant de t’élancer ?
    Khalil grommela.
    — Je ne me rappelle pas.
    Tout en maintenant sa main au-dessus du coup qu’il avait reçu en tombant à la renverse, Elora se pencha sur ses lèvres.
    — Et de cela, t’en souviens-tu ?
    Il s’alanguit sous le baiser. D’autant mieux que la douleur s’estompait.
    — Mmmmmmooouui, gémit-il lorsqu’elle s’écarta.
    De nouveau l’envie de la retenir contre lui gonfla dans ses braies. Mais il semblait ne plus falloir y compter. Déjà Elora se redressait.
    — Puisque tu es guéri, nous pouvons y aller. Il glace ici et j’ai faim.
    Khalil porta un index à son cuir chevelu. Une petite enflure subsistait, mais la douleur qui avait vrillé son crâne avait disparu.
    — Ma foi, convint-il en acceptant la main secourable qu’elle lui tendait, je ne serai pas contre un morceau de gazelle. Crois-tu que maman en aura préparé ?
    — Évidemment ! Mais attends-toi d’abord à ce que l’on nous dispute…, rit-elle en l’aidant à se relever avant d’ajouter : Je doute fort qu’ils consentent à croire qu’il nous a fallu toute la nuit pour récupérer une vieille carte de peau.
    — Et un éclat de roche. Oui, tu as raison, cela semble un peu léger…, renchérit Khalil en ramassant le falot qu’Elora, profitant de son inconscience, avait rallumé.
    — Et un éclat de roche, l’approuva Elora en caressant à son cou le bijou que Merlin lui avait confié et qu’elle venait d’attacher.
    Khalil passa devant, résigné. Fit quelques pas, puis marmonna :
    — Un œuf de pigeon. Sacrebleu !…
    Il se tourna vers elle.
    — Contre quoi ai-je cogné ?
    Elora haussa les épaules.
    — Comment le saurais-je ? Il faisait noir et je m’appliquais à rallumer la bougie. J’ai juste entendu un bruit sourd puis vu que tu t’étais assommé. Allons, n’y pense plus et avance. Une longue route nous attend vers les autres de notre communauté. Nous rentrons en Dauphiné.
    Pour seule réponse Khalil se mit à siffloter. Elora s’obligea alors à chasser d’elle ce détestable sentiment de culpabilité. Grâce à l’hypnose, Khalil n’avait plus d’autres souvenirs que ceux qu’elle lui avait implantés. Et finalement n’en semblait pas plus malheureux.
    Un dernier regard en arrière dans cette froidure que l’endroit avait regagnée.
    Derrière la lourde porte de pierre, la glaciation qu’elle avait réactivée était parvenue à son apogée. Ses