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Terribles tsarines

Terribles tsarines

Titel: Terribles tsarines Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Troyat
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haut-de-chausses, elle lui trouve toujours autant de grâce et d'esprit. Quel est donc son sexe ? Elle ne s'en soucie pas. Elle en a changé elle-même si souvent, au gré des mascarades de cour ! L'essentiel n'est-il pas que ce gentilhomme ait l'intelligence et le goût français ? Il lui apporte une lettre personnelle du prince de Conti. Les termes chaleureux de ce message la touchent plus sûrement que les amabilités habituelles des ambassadeurs. Sans hésiter, elle lui déclare : « Je ne veux ni tiers, ni médiateurs dans une réunion avec le roi [Louis XV]. Je ne lui demande que vérité, droiture et une parfaite réciprocité dans ce qui se concertera entre nous. » La formule ne souffre aucune ambiguïté : c'est,plus qu'un témoignage de confiance, une déclaration d'amour par-dessus les frontières.
    Élisabeth voudrait savourer à loisir cette lune de miel avec la France. Mais l'aggravation de ses insomnies et de ses malaises ne lui laisse plus de répit. Sous le choc répété des souffrances, elle craint même de perdre la raison avant d'avoir eu le temps de remporter une victoire décisive dans cette guerre où elle a été entraînée malgré elle par le jeu des alliances. Or, voici que Frédéric II, voulant profiter de l'effet de surprise, déclenche les hostilités en procédant, sans préavis, à l'invasion de la Saxe 1 . Les premiers engagements sont à son avantage. Dresde est prise d'assaut, les Autrichiens sont battus à Prague, les Saxons à Pirna. Forcée de se porter au secours de son alliée l'Autriche, Élisabeth se résigne à intervenir. Sur son ordre, le général Apraxine, nommé feld-maréchal, quitte Saint-Pétersbourg et concentre le gros de ses troupes à Riga. Alors que Louis XV dépêche le marquis de L'Hôpital auprès de la tsarine pour l'exhorter à l'action, elle confie à Michel Bestoujev, qui, à l'opposé de son frère Alexis, le chancelier, est francophile dans l'âme, le soin de signer l'adhésion de la Russie au traité de Versailles. Le 31 décembre 1756, c'est chose faite.
    Secrètement embarrassée par cette prise de position ostentatoire, Élisabeth espère encore que le conflit actuel n'embrasera pas toute l'Europe. Elleredoute, par ailleurs, que Louis XV ne se serve d'elle pour sceller un rapprochement, non plus occasionnel, mais permanent, avec l'Autriche. Comme pour donner raison à ses appréhensions, en mai 1757, Louis XV manifeste le besoin de confirmer son engagement aux côtés de Marie-Thérèse par une nouvelle alliance destinée à ôter à la Prusse toute possibilité de compromettre la paix en Europe. Sous ce prétexte généreux, Élisabeth devine que le roi dissimule une intention plus subtile. Tout en se proclamant solidaire de la Russie, il ne veut surtout pas qu'elle cherche à s'agrandir aux dépens de ses deux voisins, la Pologne et la Suède, qui sont les alliés traditionnels de la France. Tant que Louis XV aura ce double fil à la patte, il ne pourra jouer franc jeu avec Élisabeth. De nouveau, elle doit louvoyer avec les envoyés de Versailles. Elle se demande si Alexis Bestoujev, empêtré dans ses sympathies britanniques, est encore qualifié pour défendre les intérêts du pays. Alors que le chancelier, tout en protestant de son patriotisme et de son intégrité, ne verrait pas d'un mauvais œil le triomphe de la coalition anglo-prussienne sur la coalition austro-française, grâce notamment à l'inaction de la Russie, l'amant de l'impératrice, Ivan Chouvalov, ne cache pas qu'il est acquis à la France, à sa littérature, à ses modes et, ce qui est plus grave, à sa politique. Jamais Élisabeth n'a été l'objet d'un combat aussi acharné entre son favori et son chancelier, entre les élans de son cœur qui la rapprochent de Versailleset les remontrances de sa raison qui lui rappellent ses attaches avec Berlin.
    Elle aimerait avoir la tête parfaitement claire pour prendre ses décisions. Mais les soucis quotidiens et la recrudescence de ses malaises minent chaque jour un peu plus sa résistance physique. Elle a parfois des hallucinations, exige de changer de chambre parce qu'elle se sent menacée par un ennemi sans visage, implore les icônes de lui venir en aide, tombe en syncope et, l'évanouissement dissipé, éprouve du mal à renouer ses pensées. Sa fatigue est telle qu'elle voudrait déposer les armes. Seules les circonstances l'obligent à rester debout. Cependant, elle sait que, dans son dos, on évoque déjà le

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