Terribles tsarines
du vice-chancelier. Cette maîtresse qui n'est ni belle, ni spirituelle, mais dont la vulgarité le rassure, achève de le détourner de son épouse. Du reste, il se moque bien que Catherine ait un amant et que ce soit Stanislas Poniatowski qui l'ait engrossée. Il en plaisante même lourdement en public. Catherine n'est plus pour lui qu'une femme encombrante et déshonorante, avec laquelle on l'a marié dans sa jeunesse sans lui demander son avis. Il la supporte et tâche de l'oublier dans la journée, mais surtout la nuit. Elle, de son côté, redoute que Stanislas Poniatowski, le père naturel de l'enfant, ne soit expédié au bout du monde par la tsarine. A sa demande, Alexis Bestoujev intervient auprès de Sa Majesté pour que la nouvelle « affectation » de Stanislas, en Pologne, soit retardée, du moins jusqu'à la naissance du bébé. Il obtient gain de cause et Catherine, détendue, se prépare à l'événement.
Des contractions significatives la saisissent dans la nuit du 18 au 19 décembre 1758. Alerté par ses gémissements, le grand-duc se présente le premier à son chevet. Il est vêtu de l'uniforme prussien. Botté, la taille sanglée, l'épée au côté, des éperonsaux talons et une écharpe de commandement autour de la poitrine, il titube et marmonne, d'une voix avinée, qu'il vient, avec son régiment, défendre son épouse légitime contre les ennemis de la patrie. Craignant que l'impératrice ne le découvre dans cet état, elle le renvoie se coucher et cuver son alcool. Sa Majesté arrive après lui, juste à temps pour voir sa bru délivrée par la sage-femme. Prenant le bébé dans ses bras, elle l'examine en connaisseuse. C'est une fille. Tant pis ! On s'en contentera. D'autant que, dans la lignée mâle, la succession est assurée par le petit Paul. Pour s'attirer la bienveillance de sa belle-mère, Catherine propose de donner à sa fille le prénom d'Élisabeth. Mais Sa Majesté n'est pas d'humeur à se laisser attendrir. Elle déclare préférer pour l'enfant le prénom d'Anna que portait jadis sa sœur aînée, la mère du grand-duc. Puis, ayant fait ondoyer le bébé, elle l'emporte farouchement dans ses bras, comme elle en a usé, quatre ans plus tôt, avec le frère de cette nouveau-née inutile.
Cet épisode familial une fois dépassé, Élisabeth se consacre au règlement de l'affaire Apraxine. Le feld-maréchal, discrédité, destitué après son incompréhensible reculade face à l'armée prussienne qu'il venait de vaincre, a été frappé, fort à propos, d'un « coup d'apoplexie » à l'issue de son premier interrogatoire. Mais, avant de mourir, et tout en niant sa culpabilité, il a reconnu avoir correspondu avec la grande-duchesse Catherine. Or, Élisabeth ayant formellement interdit à sa brud'écrire à qui que ce soit sans en informer les personnes chargées de sa surveillance, il y a là un crime impardonnable de rébellion. Les proches de la tsarine attisent ses soupçons à l'encontre de la grande-duchesse, du chancelier Alexis Bestoujev et même de Stanislas Poniatowski, tous suspectés d'intelligence avec la Prusse. Le vice-chancelier Vorontzov, dont la nièce est la maîtresse du grand-duc et qui, depuis longtemps, rêve de remplacer le chancelier Bestoujev à son poste, accable Catherine, qu'il rend responsable de tous les malheurs diplomatiques et militaires de la Russie. Il est soutenu dans ses attaques par les frères Chouvalov, oncles d'Ivan, le favori d'Élisabeth. Même l'ambassadeur d'Autriche, le comte Esterhazy, et l'ambassadeur de France, le marquis de L'Hôpital, appuient la campagne de dénigrement déclenchée contre Alexis Bestoujev. Comment ne pas se laisser impressionner par un tel acharnement dans la dénonciation ? Après avoir écouté ce concert de reproches, Élisabeth prend sa décision dans le secret de sa conscience.
Un jour de février 1759, alors qu'Alexis Bestoujev assiste à une conférence ministérielle, il est interpellé et arrêté sans explication. Au cours d'une perquisition à son domicile, les enquêteurs découvrent quelques lettres de la grande-duchesse et de Stanislas Poniatowski. Rien de compromettant, certes ; pourtant, dans ce climat d'obscure vengeance, les moindres motifs sont bons pour régler leur compte aux gêneurs. Bien sûr, dans tous les pays, quiconque touche à la haute politique courtle danger d'être jeté bas aussi rapidement qu'il est monté au pinacle. Mais, parmi les nations dites civilisées, les
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