Terribles tsarines
plus délicate que prévu, car Bestoujev est maintenant subventionné par Londres pour servir la cause britannique. Même la grande-duchesse, appuyée par son amant du jour, Stanislas Poniatowski, s'est, dit-on, rangée du côté des Anglais. Éloigné provisoirement de la cour, le prince vient d'y reparaître nanti d'une affectation officielle : il a été nommé, entre-temps, ministre du roi de Pologne en Russie.Sa présence est ainsi régularisée et Catherine y voit la promesse d'un avenir paisible pour leur liaison. Elle est du reste réconfortée par les récentes dispositions d'Alexis Bestoujev à son égard. Ayant rejoint le chancelier dans le clan des amis de l'Angleterre, elle se sent hors d'atteinte. Déjà il a supprimé l'odieux espionnage dont elle était l'objet de la part de l'impératrice. Celle-ci ne reçoit plus d'Oranienbaum que des rapports relatifs aux extravagances prussiennes de son neveu.
Dans cette atmosphère de surveillance réciproque, de marchandages prudents et de tromperies courtoises, un premier traité a été concocté à Saint-Pétersbourg afin de régler l'attitude des différentes puissances dans l'éventualité d'un conflit franco-anglais. Mais soudain, à la suite de tractations secrètes, un nouvel accord est signé à Westminster, le 16 janvier 1756. Il stipule que la Russie, dans le cas d'une guerre généralisée, rejoindra la France dans sa lutte contre l'Angleterre et la Prusse. Ce brusque renversement des alliances stupéfie les non-initiés et révolte Élisabeth. Sans nul doute, Bestoujev, mieux payé ailleurs, a sacrifié les engagements d'honneur pris naguère par la Russie envers la Prusse. Et Catherine, la cervelle traversée de courants d'air, a été tout heureuse de le suivre dans une volte-face aussi scandaleuse. D'ailleurs, elle s'est de tout temps laissé embobiner par l'esprit français ! Dans la fureur de Sa Majesté, la contrariété politique a autant de part que l'amour-propre blessé. Elle regrette d'avoir faitconfiance au chancelier Alexis Bestoujev pour conduire les pourparlers internationaux, alors que le vice-chancelier Vorontzov et les frères Chouvalov lui conseillaient de temporiser. Afin d'essayer de limiter les dégâts, elle crée en hâte, dès février 1756, une « conférence » qui, sous sa présidence effective, réunit Bestoujev, Vorontzov, les frères Chouvalov, le prince Troubetzkoï, le général Alexandre Boutourline, le général Apraxine et l'amiral Galitzine. C'est bien le diable si toutes ces têtes pensantes n'arrivent pas à se dépêtrer de l'imbroglio ! En somme, pour éviter le pire, il s'agit de savoir si, dans l'hypothèse d'un affrontement, la Russie peut accepter des subsides en échange de sa neutralité. Drapée dans l'honneur impérial, Élisabeth dit non. Mais, là-dessus, on apprend que Louis XV s'apprête à signer un accord d'aide militaire réciproque avec Marie-Thérèse. Tenue par ses engagements antérieurs envers l'Autriche, la Russie devient, du même coup, l'alliée de la France. Encadrée, malgré elle, par Louis XV et par Marie-Thérèse, voici Élisabeth obligée de se mesurer à Frédéric II et à George II. Doit-elle s'en réjouir ou s'en effrayer ? Autour d'elle, les courtisans sont partagés entre l'orgueil national, la honte d'avoir trahi leurs amis d'hier et la crainte de payer très cher un changement de cap qui ne s'imposait pas. On raconte, toutes portes closes, que la grande-duchesse Catherine, Bestoujev et peut-être même l'impératrice ont touché de l'argent pour lancer le pays dans une guerre inutile.
Indifférente à ces rumeurs, Élisabeth se retrouve, tout étonnée, dans la position d'une amie indéfectible de la France. Faisant contre mauvaise fortune bon cœur, elle offre, le 7 mai, à Mackenzie Douglas, de retour à Saint-Pétersbourg après une brève éclipse diplomatique, un accueil plein d'attention, d'estime et de promesses. Il est suivi, à quelques jours d'intervalle, par l'étrange Charles de Beaumont, dit le chevalier d'Éon de Beaumont. Ce personnage équivoque et séduisant avait déjà fait naguère une première apparition en Russie. Il portait alors des vêtements féminins. L'élégance de ses robes et le brio de sa conversation avaient séduit l'impératrice au point qu'elle lui avait demandé d'être occasionnellement sa « lectrice ». Or, voici que le chevalier d'Éon revient parader devant elle, mais en habits d'homme. Qu'il s'exhibe en jupe ou en
Weitere Kostenlose Bücher