Terribles tsarines
risques se limitent à un blâme, à une destitution ou à une mise à la retraite d'office ; en Russie, patrie de la démesure, les coupables peuvent être condamnés à la ruine, à l'exil, à la torture, voire à la mort. Dès qu'elle a senti sur sa nuque le vent de la répression, Catherine a brûlé ses vieilles lettres, ses brouillons, ses notes personnelles, ses livres de comptes. Elle espère qu'Alexis Bestoujev a pris la même précaution.
En vérité, l'impératrice, tout en condamnant son ancien chancelier, souhaite elle aussi qu'il en soit quitte pour une grande frayeur et pour la perte de quelques privilèges. Est-ce à la fatigue de l'âge ou aux souvenirs d'une vie de combat et de débauche qu'elle doit cet accès d'indulgence ? Réflexion faite, pour cet homme qui a si longtemps travaillé à ses côtés, elle préférerait un châtiment en demi-teinte plutôt qu'un verdict sans appel. Une fois de plus, on la louera d'être « la Clémente ». Elle a d'autant plus de mérite à modérer sa rancune contre Alexis Bestoujev que d'autres membres du « complot anglo-prussien » lui paraissent, eux, inexcusables. Ainsi demeure-t-elle de marbre devant le grand-duc Pierre qui se jette à ses pieds, jure qu'il n'est pour rien dans ces maladresses politiques et que seuls Bestoujev et Catherine sont coupables de concussion et de trahison. Écœurée par la bassesse de son neveu, Élisabeth le renvoie dans ses appartements, sans un mot de pardon ni un éclat decolère. Pour elle, il a cessé de compter. Et même d'exister.
Tout autre est son attitude devant la conduite « inqualifiable » de sa bru. Pour se disculper, Catherine lui a envoyé une longue lettre, rédigée en russe, dans laquelle elle lui confie son désarroi, proteste de son innocence et l'implore de la laisser repartir pour l'Allemagne, afin d'y retrouver sa mère et de s'incliner sur la tombe de son père, mort entre-temps. L'idée d'un exil volontaire de la grande-duchesse paraît à Élisabeth si absurde et si déplacée dans les circonstances actuelles qu'elle ne répond pas à cet appel au secours. Allant plus loin, elle choisit même de punir Catherine en la privant de sa meilleure camériste, Mlle Vladislavov. Ce nouveau coup achève d'abattre la jeune femme. Dévorée de chagrin et de crainte, elle se met au lit, refuse toute nourriture, se prétend malade d'âme et de corps et, au bord de l'inanition, ne veut surtout pas être examinée par un médecin. En revanche, elle supplie l'obligeant Alexandre Chouvalov d'appeler un prêtre pour l'entendre en confession. On prévient le père Doubianski, aumônier personnel de la tsarine. Ayant reçu les aveux et les marques de contrition de la grande-duchesse, il lui promet de plaider sa cause auprès de Sa Majesté. Au cours d'un entretien avec son « auguste pénitente », le prêtre lui peint si bien la douleur de sa belle-fille, laquelle, après tout, n'a à se reprocher qu'un dévouement maladroit à la cause de la monarchie, qu'Élisabeth promet de méditer sur le cas de cetteétrange paroissienne. Catherine n'ose encore espérer un retour en grâce. Cependant, l'intervention du père Doubianski a dû être convaincante car, le 13 avril 1759, Alexandre Chouvalov retourne voir Catherine dans la chambre où elle dépérit d'angoisse et lui annonce que Sa Majesté la recevra « aujourd'hui même, à dix heures du soir ».
1 C'est le début de la guerre dite de Sept Ans.
XI
ENCORE UNE CATHERINE !
Avant d'aborder cette fameuse rencontre du 13 avril, l'impératrice et la grande-duchesse savent l'une et l'autre qu'elle déterminera pour toujours le ton de leurs relations. Chacune de son côté a fourbi ses arguments, ses griefs, ses ripostes et ses excuses. Imbue de son pouvoir discrétionnaire, Élisabeth n'ignore pourtant pas que sa bru, avec ses trente ans, sa peau lisse et sa denture intacte, a sur elle l'avantage de la jeunesse et de la grâce. Elle enrage d'avoir passé la cinquantaine, d'être envahie de graisse et de ne plus séduire les hommes que par son titre et son autorité. Tout à coup, la rivalité de deux personnages politiques devient une rivalité de femmes. Le bénéfice de l'âge joue pour Catherine, celui de la position hiérarchique pour Élisabeth. Afin de bien marquer sa supériorité sur la quémandeuse, la tsarine décide de la faire attendre dans l'antichambre assez longtemps pour qu'elle use ses nerfs et perde ses moyens de séduction.Alors que
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