Terribles tsarines
passion les Annales de Tacite, l'Esprit des lois de Montesquieu ou certains essais de Voltaire. Sevrée d'amour, elletente de pallier ce manque de chaleur humaine en s'intéressant à la philosophie et même à la politique. A force de fréquenter les salons de la capitale, elle écoute avec plus d'attention que naguère les conversations, souvent brillantes, des diplomates. Aux côtés d'un mari entièrement absorbé par des balivernes militaires, elle prend ainsi une assurance, une maturité d'esprit qui n'échappent pas à son entourage. Élisabeth, dont la santé décline à mesure que celle de Catherine s'épanouit, ne tarde pas à remarquer la métamorphose progressive de sa bru. Mais elle ne sait pas encore si elle doit s'en réjouir ou s'en inquiéter. Souffrant d'asthme et d'hydropisie, la tsarine se raccroche, en vieillissant, au toujours jeune et bel Ivan Chouvalov. Il est devenu sa principale raison de vivre et son meilleur conseiller. Elle se demande si, pour sa tranquillité personnelle, il ne vaudrait pas mieux que Catherine eût, comme elle, un amant attitré qui la comblerait à tous égards et l'empêcherait de se mêler des affaires publiques.
Or, voici que vers la mi-1755, à la Pentecôte, un nouveau plénipotentiaire anglais arrive à Saint-Pétersbourg. Il se nomme Charles Hambury Williams et compte dans sa suite un jeune et sémillant aristocrate polonais, Stanislas-Auguste Poniatowski. Âgé de vingt-trois ans, Stanislas est féru de culture occidentale, a fréquenté tous les salons européens, connaît personnellement, à Paris, la fameuse Mme Geoffrin, qu'il appelle « maman », et jouit à Londres de l'amitié du ministre HoraceWalpole. On dit qu'il parle toutes les langues, qu'il est à l'aise sous tous les climats et qu'il plaît à toutes les femmes. A peine débarqué en Russie, Williams songe à utiliser « le Polonais » pour séduire la grande-duchesse et en faire son alliée dans la lutte qu'il entend mener contre la prussophilie du grand-duc. Le chancelier Alexis Bestoujev, appuyé par tout le « parti russe », est d'ailleurs prêt à seconder l'ambassadeur britannique dans ses desseins. Ayant pris le vent, il souhaiterait voir la Russie se ranger ouvertement du côté des Anglais en cas de conflit avec Frédéric II. Selon les rumeurs qui courent les chancelleries, Louis XV lui-même, flairant le danger d'une guerre, serait impatient de renouer des contacts avec la Russie. Du jour au lendemain, grâce à ses conversations de salon avec Stanislas Poniatowski, Catherine est plongée en plein chaos européen. A son insu, les questions internationales prennent pour elle le beau visage du Polonais. Mais Stanislas, en dépit de ses nombreux succès mondains, est un fichu timide. Très alerte en paroles, il est paralysé de respect devant la grâce, l'élégance et le don de repartie de la grande-duchesse. Brûlant de désir, il n'ose se déclarer. C'est Léon Narychkine, le joyeux compagnon d'aventures de Serge Saltykov, qui pousse Stanislas Poniatowski à sauter le pas. La camériste confidente de Catherine, Mlle Vladislavov, facilite leurs premières rencontres à Oranienbaum. Toujours à l'affût des intrigues qui se trament, la tsarine est bientôt informée que sa belle-fille a trouvé un remplaçant àSerge Saltykov, que son dernier amant se nomme Stanislas Poniatowski et que les tourtereaux roucoulent infatigablement tandis que le mari, indifférent, ferme les yeux et se bouche les oreilles.
Élisabeth ne prend pas ombrage des nouvelles incartades de sa belle-fille, mais se demande s'il n'existe pas une arrière-pensée politique derrière cette liaison amoureuse. Il lui semble soudain qu'il y a deux cours rivales en Russie, la « grande cour » de Sa Majesté et la « petite cour » grand-ducale, et que les intérêts de ces deux émanations du pouvoir sont contradictoires. Pour s'assurer les sympathies de la « grande cour », traditionnellement francophile, Louis XV envoie à Saint-Pétersbourg un émissaire de choix, le sieur Mackenzie Douglas. Écossais d'origine, ce partisan des Stuarts, réfugié en France, appartient au cabinet « parallèle » de Louis le Bien-Aimé, appelé « le Secret du roi ». Il se rend en Russie soi-disant pour acheter des fourrures, en fait pour communiquer à la tsarine un code confidentiel qui lui permettra de correspondre directement avec Louis XV. Avant de se mettre en route, Douglas a été informé que sa mission sera
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