Théodoric le Grand
administratives et militaires, présentait une
façade de pierre plate et uniforme, blanche, sans fenêtres ouvertes sur le
reste de la ville, mais à l’intérieur s’étalaient quantité de petits jardins,
de cours fermées, et même une large esplanade destinée aux parades. Je fus
conduit vers l’une de ces cours, et Strabo m’indiqua qu’elle serait mon espace
personnel de promenade. Elle était entourée de murs trop élevés pour être
escaladés, dont l’unique porte était flanquée en permanence d’un planton, et
communiquait avec mes appartements privés. Les pièces étaient percées de
fenêtres garnies d’épais barreaux avec vue sur un jardin dénudé et stérile en
cette saison. J’avais à mon service une domestique, déjà installée dans une
pièce attenante. Nommée Camilla, cette rude paysanne grecque mal fagotée eût
cependant difficilement mérité le titre de cosmeta. De plus, comme je ne
tardai pas à le découvrir, elle était sourde et muette, et vraisemblablement
pour cette raison avait été choisie pour être à mon service. Il me serait donc
impossible de la convaincre de faire passer à l’extérieur le moindre message,
ni de lui extorquer quelque information utile concernant ma captivité.
Le logement n’était vraiment pas luxueux, mais j’avais déjà
connu de bien pires conditions, et du moins n’étais-je pas enchaîné dans un
sombre donjon. Je me gardai bien de laisser paraître devant Strabo le plus
léger signe de satisfaction ou de résignation, bien qu’il semblât se moquer
royalement de mes états d’âme à ce sujet.
— J’espère que vous goûterez votre séjour ici,
princesse, déclama-t-il. Et je pense que ce sera le cas. Je suis même prêt à
parier que vous apprécierez tellement l’endroit que vous aurez plaisir, tout
comme moi, et accessoirement mon fils, à y résider pour longtemps. Très
longtemps…
3
Nul besoin d’attendre que Strabo me le dise clairement pour
comprendre qu’il n’avait aucune intention de me libérer, même si –
hypothèse improbable – Théodoric avait envisagé d’obtempérer à toutes ses
demandes. Je n’avais là-dessus pas le moindre doute : en effet, Strabo
m’avait confié l’un de ses secrets qu’il ne m’aurait jamais laissé divulguer.
Lors de notre première rencontre, il m’avait avoué en quelle piètre estime il
tenait son fils et héritier présomptif. Cela impliquait que la détention de
Recitach comme otage à la cour de Constantinople n’était qu’un leurre,
l’empereur Zénon se faisant des illusions s’il pensait pouvoir manipuler à sa
guise son royal père. Si, une fois libéré, j’avais laissé filtrer ne serait-ce
que cette simple information, Zénon aurait certainement transféré ses faveurs
de Strabo au profit de Théodoric, à moins qu’il n’eût décidé de promouvoir un troisième
roitelet inconnu issu d’une autre nation germanique. Je ne serais donc jamais
remis en liberté.
Strabo avait-il l’intention de me garder éternellement pour
se servir de moi comme objet sexuel ? Espérait-il vraiment que je
concevrais et porterais un héritier plus digne de lui que le premier ? Il
était plus vraisemblable, hélas, qu’ayant réalisé l’impossibilité de
concrétiser ce rêve – car jamais je ne pourrais tomber enceinte –, il
se fatiguerait de moi et m’exécuterait sommairement. Tout ce que j’en
déduisais, c’est que, m’ayant annoncé que je demeurerais confiné à Constantiana
« très longtemps », cela voulait bel et bien dire « à
vie ».
À supposer que j’aie été la véritable princesse Amalamena,
j’aurais sans doute, en m’entendant condamner à une telle destinée, sombré dans
le plus profond désespoir. Fort heureusement, j’avais pour me réconforter
certains secrets, dont le projet de m’évader avec l’aide d’Odwulf, dès que je
jugerais le moment venu. Ayant aperçu ce dernier à plusieurs reprises au cours
de notre voyage, je savais qu’il était encore parmi nous. À la première
occasion qui s’était présentée, il m’avait gratifié d’un imperceptible signe de
la tête, me faisant ainsi comprendre que son camarade le lancier Augis s’était
bien mis en route vers Théodoric. Odwulf n’avait pas cherché à communiquer
depuis, et lorsqu’il nous arrivait de nous croiser, il se contentait, comme le
faisaient tous les autres soldats, de me lancer des plaisanteries un peu
salaces et de me lorgner d’un
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