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Théodoric le Grand

Théodoric le Grand

Titel: Théodoric le Grand Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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l’Empire d’Occident est mort. Son nom est rayé de la carte du
monde.
    — Quoi ?
    — Mais d’où sors-tu donc, fillette, pour ne pas savoir
cela ? (Strabo avait redressé la tête pour darder sur moi un œil
incrédule.) Akh, ja. J’oubliais. Tu es sur la route depuis longtemps. Tu
as dû quitter Constantinople juste avant que la nouvelle y parvienne.
    — La nouvelle ? Quelle nouvelle ? Et qui est
cet Aúdawakrs ?
    — Un étranger, comme toi et moi. Fils d’Edica, le
défunt roi des Scires.
    — J’ai entendu parler de cet Edica, fis-je, me
remémorant le village des manchots. Le père de Théodoric… en l’occurrence le
mien, l’a tué lors d’une bataille, peu avant de mourir à son tour. Mais quel
peut être le rapport entre le fils d’Edica et…
    — Aúdawakrs s’est enrôlé très tôt dans l’armée romaine,
et a gravi rapidement tous les échelons jusqu’à atteindre une position
éminente. S’inspirant de cet autre étranger qu’avait été Ricimer avant lui, il
est devenu « faiseur de roi » à Rome. C’est lui qui a porté au trône
le jeune Romulus Augustule, avant de décider de le renverser.
    — Pour quelle raison ? Ricimer le faiseur de roi,
en son temps, était le véritable maître de l’Empire d’Occident. C’était de
notoriété publique, mais il se satisfaisait pleinement de demeurer en retrait
du trône.
    Strabo haussa les épaules et fit rouler ses globes
oculaires.
    — Mais pas Aúdawakrs. Lui n’attendait qu’un bon
prétexte pour agir. Les légionnaires étrangers ont lancé une pétition réclamant
qu’à leur retraite, il leur soit octroyé en toute propriété des terres, au même
titre que les Italiens de souche, qui avaient toujours joui de ce privilège.
Augustule, à moins que ce ne soit son père Oreste, a péremptoirement refusé.
Aúdawakrs a alors saqué le petit et liquidé Oreste, annonçant que lui-même
ferait en sorte d’accorder cette requête. Aussitôt, ravies, les troupes l’ont
acclamé et fait monter sur leurs épaules. C’est donc lui, désormais, qui exerce
le pouvoir.
    Strabo gloussa, prenant un évident plaisir à évoquer la
déconfiture de Rome, et il ajouta :
    — Bien sûr, son nom dans la Vieille Langue est trop dur
à prononcer pour les Romains. Aussi l’appellent-ils simplement Odoacre, ce qui
signifie, selon la prononciation latine Odo acer, « Lame
détestée ».
    — Un étranger ! m’exclamai-je, sidéré. Empereur de
Rome ! Mais c’est un renversement sans précédent dans l’Histoire…
    —  Ne, il ne revendique pas le titre impérial. Ce
serait outrecuidant ; il est bien trop malin pour cela. Ni les citoyens
romains ni l’empereur Zénon ne le toléreraient. Zénon, de son côté, se
satisfait de cette situation, car tant qu’Odoacre manifeste sa docile
soumission à l’empereur d’Orient, ce dernier demeure le seul véritable maître
de l’Empire romain.
    Strabo rota derechef, apparemment inconscient du fait qu’il
décrivait la fin d’une ère, voire l’anéantissement de toute civilisation
moderne. Tout du moins, la disparition du monde tel que nous l’avions connu.
    Encore hébété, je fis remarquer :
    — J’ai perdu le compte des empereurs qui ont pu
gouverner à Rome ou Ravenne depuis ma naissance. Mais jamais je n’aurais
imaginé voir un jour un étranger – que dis-je ? un sauvage barbare,
puisque c’est un Scire – régner après la dissolution du plus grand empire
des annales de l’Histoire.
    — Toujours est-il, pointa Strabo d’un air entendu, que
je doute fort qu’Odoacre n’aille un jour s’allier avec le fils de l’assassin de
son père.
    —  Ne, concédai-je.
    Et je soupirai. Théodoric ne pouvait guère compter sur une
amitié de ce côté-là.
    — Cela dit, continua Strabo, si un étranger a réussi à
atteindre ce poste éminent, un autre pourrait fort bien y parvenir lui aussi…
    Il plissa ses yeux de crapaud, tel un batracien à l’affût
d’une mouche. Grimaçant un sourire sournois, il prononça la suite sans se
presser, comme s’il attendait le bon moment pour gober sa mouche.
    — Odoacre finira sans doute par rassembler les nations
disparates et autres factions de l’Occident. Il pourrait même constituer une
ligue assez puissante pour que Zénon l’envisage bientôt comme un voisin
indésirable aux portes de son Empire d’Orient. C’est ce qui arrivera, j’en suis
convaincu. En attendant, j’entends bien continuer à

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