Théodoric le Grand
en déduire qu’il cherchait à activer la fabrication d’armes. J’appris
aussi qu’il rassemblait les bataillons épars des légions du sud en un corps
d’armée unifié. On me rapporta ensuite qu’il avait gagné l’un des ports situés
à l’ouest de la Péninsule, sans doute Genua [99] ou Nicaea [100] ,
semblant indiquer qu’il cherchait à ramener en Italie des légions fraîches
stationnées à l’étranger.
J’aurais pu me lasser de cette attente, et filer au nord
pour rejoindre Théodoric. Mais au début novembre, Hruth m’apporta à l’ hospitium un autre message intercepté ; celui-là disait : TH MEDLAN HIBERN.
Théodoric installait donc son armée pour l’hiver dans la cité conquise.
On pourrait supposer que sur une terre méditerranéenne comme
l’Italie, l’hiver n’est pas assez rigoureux pour immobiliser une armée et
compromettre son efficacité au combat. Pourtant, de novembre à avril, dans les
provinces septentrionales du pays, la chaîne montagneuse des Apennins bloque
l’entrée de l’air doux venu de Méditerranée, et les vents froids descendus des
Alpes ne sont donc guère tempérés. Et bien qu’un hiver à Mediolanum soit plutôt
clément comparé par exemple à celui de Novae, sur le Danuvius, la prudence
recommande à tout chef militaire de garder durant cette période ses troupes en
garnison plutôt que sur les champs de bataille. Il n’y aurait donc sans doute
aucun nouveau combat avant le printemps, et je résolus de ne pas bouger.
J’ai souvent pesté contre mon indolence durant ma résidence
à Bononia, mais je dois confesser que je ne m’y ennuyai pas pour autant. Grâce
aux mesures que j’avais prises, je n’en eus pas le temps, et les distractions
furent nombreuses.
Au cours des premiers jours de ma villégiature à Bononia, et
durant les quelques semaines qui suivirent, Kniva suivit assidûment les
instructions que je lui avais données. Se déplaçant d’une taverne à l’autre, il
encensa à grands renforts de compliments les « vertus » (pour ainsi
dire) de cette Dame Veleda nouvellement arrivée dans la cité. Tout de suite ou
presque, mon hospitium fut rempli d’hommes désireux d’y goûter. Bien
sûr, au début, la plupart étaient des rustres et des butors fréquentant les
débits de boissons, et je les renvoyai dédaigneusement.
Puis, à mesure que Kniva continuait à proclamer hautement ma
beauté et mes talents, et que les soupirants éconduits confirmaient ma beauté
tout en insistant sur ma hautaine délicatesse dans le choix de mes partenaires,
je vis poindre des solliciteurs de qualité accrue. Mais je les renvoyai de
même, jusqu’à ce que finissent par se présenter à moi les serviteurs de
messieurs de haut rang, envoyés pour faire appel à mes faveurs sur la demande
de leurs maîtres. Quand je déclinai les offres de ces derniers, j’y mis les
formes, leur expliquant que je ne pouvais agréer les demandeurs qu’après avoir
fait leur connaissance, quels que fussent leurs titres ou fonctions. Ces
domestiques se retirèrent en se tordant les mains, assurés qu’ils étaient de se
faire battre lorsqu’ils ramèneraient à leurs maîtres une réponse aussi
dédaigneuse.
Il s’écoula quelque temps encore avant que les notables
daignent venir se présenter, de tels hommes étant habitués à convoquer
impérieusement les femelles de mon genre rien qu’en claquant des doigts ou en
faisant tinter des pièces de monnaie. Cela dit, lorsqu’ils vinrent à moi, ils
prirent bien soin de le faire sous le couvert de l’obscurité. Mais ils vinrent.
Avant la première neige, je chipotais et choisissais parmi les clarissimi et les illustrissimi de la ville. Et du fait de ma réputation de femme
extrêmement difficile à approcher, j’exigeai et obtins de ceux que je daignais
distinguer une rémunération totalement incroyable pour la moindre faveur dispensée.
Ce que je voulais, c’était acquérir une réputation
susceptible d’arriver aux oreilles de Tufa et de le rendre, dès son retour dans
sa cité, ardemment désireux de rencontrer personnellement la femme dont le
renom était aussi retentissant. C’est pourquoi, dans la sélection que j’opérai
parmi les flopées de candidats venus solliciter mes faveurs, je fis en sorte de
conserver une inflexible exigence. À titre d’exemple, certains de ceux qui se
présentaient, porteurs de bourses bien garnies et généreusement ouvertes,
étaient des hommes suffisamment
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