Théodoric le Grand
Flaminia venaient de se terminer, aussi a-t-il certainement
engrangé là-bas une énorme réserve de provende fraîche.
— Ce qui expliquerait, murmura Pitzias, que Tufa ait
massacré nos hommes. Il ne tenait pas à ce qu’ils puisent dans les réserves de
la cité.
— Si tel a été le cas, la précaution était inutile,
fis-je. Même sans le fruit de ces moissons, les habitants de Ravenne peuvent
vivre indéfiniment, et fort bien de surcroît. Je me souviens, au temps où
j’étais détenu prisonnier dans le port de Constantiana sur la mer Noire,
comment Strabo se vantait de pouvoir tenir en échec toutes les armées d’Europe
en ravitaillant la cité par la mer. Et Ravenne est située au bord de
l’Adriatique. C’est pourquoi je vous le dis, la seule et unique façon de
prendre Ravenne serait d’utiliser la flotte romaine. Il faut embarquer nos
troupes sur ses bateaux, les faire débarquer là-bas, et…
— Je ne peux pas le faire, affirma impérieusement
Théodoric.
— Fier guerrier, insistai-je, je sais que tu
préférerais que nous prenions Ravenne sans assistance extérieure. J’aimerais
moi aussi que nous puissions le faire. Mais tu dois me croire : c’est
au-dessus de nos forces. De plus, j’ai cru comprendre que le navarchus Lentinus, commandant de la flotte de l’Adriatique, n’était pas si mal disposé à
ton…
— C’est à cause de lui que je ne puis recourir à la
flotte romaine. Vái, Thorn, tu étais présent quand je lui ai fait le
serment de ne lui donner aucun ordre avant d’avoir été légitimement désigné
comme son supérieur. Zénon ne m’a pas conféré cette autorité, il n’est plus en
état de le faire et Lentinus le sait. Même si je revenais sur ma parole, je
n’aurais aucun moyen de le forcer à m’obéir. Il lui suffirait de placer ses
navires hors d’atteinte.
— Rebuffade qui, dans l’esprit de ses futurs sujets,
avilirait davantage Théodoric que la plus cuisante des défaites, souligna Ibba.
— J’avais déjà envisagé de faire débarquer des troupes
par la mer, Thorn, continua Théodoric. J’avais même songé à bombarder Ravenne
depuis la mer par des catapultes. Ou en dernier recours, d’effectuer un blocus
naval empêchant tout ravitaillement. Mais ne, je ne le puis. Lentinus a
déjà poussé fort loin la courtoisie en me louant ses plus rapides vaisseaux
pour envoyer des messagers d’Aquileia vers Constantinople et ceux-ci m’ont
appris la maladie de Zénon. Je ne puis donc rien requérir de plus du navarchus, encore moins l’exiger.
Je haussai les épaules.
— Je n’ai aucun plan de rechange. Mets le siège autour
de Ravenne, si tu le souhaites, dès que tes armées auront atteint la Via
Flaminia. Cela n’aura pour effet que de calfeutrer Odoacre bien à l’abri à
l’intérieur, alors que tu rêves de l’en faire sortir. Mais au moins, tu sauras
où il est. Peut-être un jour, quand nous serons établis comme fermiers sur
toute la surface de l’Italie à l’exception de ce morceau marécageux de la côte,
Odoacre acceptera-t-il, de guerre lasse, de concéder sa défaite et quittera
Ravenne de son plein gré.
— Habái ita swe, entérina Théodoric, sur un ton non
pas ferme et impérieux, mais qui évoquait plutôt un souhait affligé.
Là-dessus, les officiers présents prirent congé. Je
m’arrangeai pour m’attarder afin d’interroger Théodoric :
— Que vas-tu décider, au sujet de la sœur de ce roi
Clovis ?
— Pardon ? fit-il le regard vide, comme s’il avait
complètement oublié son existence. Que veux-tu que j’en dise ? Je peux
difficilement faire d’Audoflède une impératrice sans avoir le début d’un
empire.
— Tu l’auras un jour, Guth wiljis. Mais
alors ? Envisagerais-tu d’épouser une étrangère que tu n’aurais même
jamais vue ?
— Akh, tu sais que ça n’a rien d’exceptionnel,
les mariages arrangés pour des questions d’alliance et de convenance. Cela dit,
il se trouve que le général Respa a déjà rencontré Audoflède. Il me l’a décrite
comme douée d’une certaine intelligence, d’une grâce très acceptable et même
d’une beauté supérieure au lot commun des princesses.
Je fis remarquer, à la façon détournée dont s’exprime
souvent le dépit féminin :
— Quel dommage que les Franques, comme nul ne l’ignore,
vieillissent et se flétrissent plus vite que les autres ! Vu que tu crains
d’autre part qu’il s’écoule un temps
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