Théodoric le Grand
possession
personnelle d’une part de l’Italie ?
— Ne, répondit Théodoric. L’actuel Alaric est loin
d’être aussi rapace que l’a été son arrière-grand-père. Il ne vise pas à
étendre son hégémonie. Comme beaucoup de rois actuels, il n’aspire pour les
royaumes d’Occident qu’à la paix et la prospérité qui prévalaient à l’époque de
la Pax Romana.
— Rappelez-vous, me dit Soas, que la plupart des
rois germaniques ont soutenu Odoacre tant qu’il leur a semblé être en mesure de
rétablir la grande époque de Rome. Il semble désormais qu’ils misent plutôt sur
Théodoric. Alaric lui a envoyé un contingent. Mais ce n’est pas tout ! Son
général Respa nous a également transmis des ambassades de Khlodovekh, roi des
Francs, du vieux Genséric, roi des Vandales, et même du jeune Hermanafrid, roi
des lointains Thuringiens du Nord. Tous manifestent de l’amitié à notre égard,
et nous offrent toute l’aide que nous pourrions requérir.
Le général Herduic ajouta, un sourire jusqu’aux
oreilles :
— Le roi Clovis a même proposé sa sœur.
— Quoi ? fis-je. Qui est ce Clovis ?
— Le roi Khlodovekh. Il préfère cette version romaine
de son nom. Sa sœur Audoflède, elle, a gardé un prénom qui fleure bon la
Vieille Langue.
— Et à quel titre a-t-il donc proposé sa sœur ?
m’enquis-je.
— Mais à titre d’épouse de Théodoric, donc de reine.
À cette nouvelle, je le confesse, je ressentis au cœur un
pincement tout féminin. Ce sentiment me surprit un peu, car jamais je n’avais
éprouvé d’envie ou d’antipathie à l’égard de feu Dame Aurora, et jamais je
n’avais depuis lors pris ombrage de voir Théodoric partager la couche de telle
ou telle. Après tout, pensai-je avec résignation, n’était-il pas normal qu’il
contractât un jour ou l’autre un mariage en bonne et due forme ? Il
n’avait mis au monde que deux filles, issues de surcroît d’une simple
concubine. Il lui fallait bien sûr un héritier mâle, de sang royal. Mais
j’avais beau faire, ce raisonnement ne me consolait guère.
Le général Ibba intervint :
— L’offre de Clovis est claire. Il compte que nous
prenions rapidement possession de toute l’Italie, et espère bien qu’avant peu,
sa sœur Audoflède régnera aux côtés de Théodoric non seulement sur l’Italie,
mais sur un vaste Empire romain ressuscité. Elle ne sera pas simplement la
reine Audoflède, mais l’impératrice Audoflède. Si Clovis croit en notre succès,
les autres en feront autant.
— Notre roi le pense-t-il aussi ? demandai-je
hardiment à Théodoric.
Il approuva d’un calme hochement de tête :
— Pour l’instant, nous sommes maîtres de toute l’Italie
du Nord, des Alpes jusqu’au Sontius. D’ici un an au plus, nous devrions avoir
nettoyé le reste de la Péninsule. Cela commence en effet à sentir la victoire.
J’affectai le désappointement.
— Comme je le craignais, tu as gagné la guerre sans
moi.
— Pas encore, grommela Soas. On ne peut célébrer son
triomphe que coiffé de la couronne de laurier. Et tant qu’Odoacre la
revendique…
— Allons, Soas Cassandre, plaisantai-je. L’empereur
Zénon ne va sûrement pas nous demander de lui livrer la tête fumée d’Odoacre,
comme nous l’avons fait naguère pour Camundus et Babai.
Me retournant vers Théodoric, je lui suggérai
instamment :
— Laissons Odoacre jouir de son petit coin marécageux
d’Italie. Qu’il y reste tapi jusqu’à y pourrir d’humidité. Quand nous aurons
conquis le reste du pays et que chacun le saura, Zénon n’aura plus d’autre
choix que de te proclamer le légitime…
Il leva une main.
— Ne, Thorn. La roue du Destin a tourné, et pas
en notre faveur. J’ai appris que Zénon était au plus mal. Il pourrait mourir
bientôt et n’est donc plus en état de proclamer quoi que ce soit. Or nul
successeur ne sera désigné avant sa mort. Durant cette sorte d’interrègne, si
je veux mériter des lauriers, il faudra que j’aille les cueillir moi-même. Et
aux yeux de tous. Plus que jamais, je dois renverser ostensiblement Odoacre.
Je soupirai.
— Alors je déteste avoir à te le dire, mais il nous
faudra plus que nos armées pour y parvenir. J’ai bien observé le terrain qui
entoure Ravenne. Un assaut terrestre est impossible, et mettre le siège serait
futile. Au moment où Odoacre a trouvé refuge dans sa forteresse, les récoltes
de la province de
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