Théodoric le Grand
au fils du
roi Gondebaud, le prince héritier Sigismond.
— Et puis quoi encore, Théodoric ? protestai-je.
Gondebaud a lâchement tiré avantage de la situation dans laquelle tu te trouvais ;
il t’a virtuellement insulté, en ordonnant cette razzia dans le nord de
l’Italie au moment où tu étais occupé à la guerre. Toi-même, tu l’as traité de tetzte et de maudit enfant de putain. Tout ce que tu dois à cet homme, c’est un blâme
sévère, si ce n’est un châtiment bien senti. Comme s’il ne suffisait pas que tu
doives lui payer une rançon pour la restitution des captifs, voilà que tu
l’invites à devenir le beau-père de ta royale fille ?
Théodoric se contenta de me répondre patiemment :
— Arevagni ne s’en est pas plainte. Pourquoi le
ferais-tu ? Il faudra bien qu’elle épouse quelqu’un un jour. Sigismond est
le futur roi d’un peuple vigoureux, situé de l’autre côté de notre frontière
nord-ouest. Réfléchis, Saio Thorn. Plus je contribue à accroître la
prospérité de ce pays, et j’espère bien y parvenir, plus il constituera une
proie tentante pour tout étranger avide de conquête. En m’alliant par le biais
de mariages à d’autres souverains, surtout à de maudits enfants de putain, je
diminue d’autant leur tentation de devenir mes adversaires. Vái, je
regrette simplement de ne pas avoir une plus grande progéniture à consacrer à
ce genre d’unions profitable.
Dame, c’était à Théodoric de garder et de défendre son
domaine et il pouvait bien faire d’Arevagni ce qui lui plaisait. J’entérinai
simplement le fait qu’un expédient de la sorte faisait partie des outils
nécessaires pour régner et que Théodoric, comme tout autre gouvernant, devait
bien s’en servir. Dans le cas présent, cela fonctionna comme il l’avait espéré.
L’évêque Épiphane fut reçu avec hospitalité à Lugdunum, où sa proposition fut
aussi bien accueillie que ses sacs d’or. L’évêque arien local l’invita même à
célébrer avec lui les noces de Sigismond et d’Arevagni. Quand il revint
finalement à Ravenne, il ramenait entre autres choses un engagement de
Gondebaud lui proposant une solide alliance et une éternelle amitié. Épiphane
ramena également la totalité des paysans enlevés naguère. Comme il l’avait
prédit, ce sauvetage humanitaire valut à Théodoric, de la part de ses sujets
d’Italie, un regain d’affection. Du moins celle des petites gens, peu décidés à
prendre en compte les permanentes injonctions de l’Église à détester et à
exécrer leur souverain.
Toujours est-il que si la déesse Fortune, à cette époque,
s’avéra plutôt bienveillante à l’égard de Théodoric, elle sembla en revanche
bien peu décidée à me sourire. Je ne fus pas loin de croire que l’archevêque
Jean avait eu raison de me menacer d’un châtiment pour mon irrespectueuse
conduite à l’égard de la sainte personne de Séverin. Je me sentis presque
victime d’une version chrétienne de l’ insandjis de la Vieille Religion,
d’un véritable mauvais sort. Voici ce qui m’arriva.
Comme nous ne trouvâmes jamais quels étaient les lointains
partisans d’Odoacre qui avaient permis le ravitaillement de Ravenne par la mer,
j’étais assez satisfait d’avoir réussi pour ma part à assurer la capture de
l’expatrié responsable du trafic de faux ballots de sel. Lorsque le centurion
Gudahals nous le ramena d’Haustaths, le vieux Georgius Honoratus était intact,
en bonne santé, et légitimement terrorisé. Je l’avais connu gris de cheveux, de
peau et d’esprit ; il l’était, si c’est possible, plus encore à présent.
Je doute que je l’aurais reconnu si je l’avais rencontré fortuitement. Lui ne
me reconnut certainement pas, aussi ne lui adressai-je pas la parole, mais je
le fis envoyer dans la prison municipale de Ravenne pour pouvoir l’interroger à
loisir. Je félicitai Gudahals, lui confirmant que grâce au bon travail
accompli, il avait expié son erreur précédente.
— Je l’espère, Saio Thorn, fit-il avec entrain.
Nous avons aussi trouvé les conspirateurs que vous nous aviez demandé de
traquer en cours de route. Nous les avons pratiquement pris sur le fait… en
flagrant délit, pour ainsi dire. Un marchand et sa femme.
Il me raconta ce qui s’était passé. Gudahals et ses
cavaliers, après s’être assurés sans difficulté de Georgius à la mine
d’Haustaths, traversaient en hâte le pays pour
Weitere Kostenlose Bücher