Théodoric le Grand
n’entends
aucunement me mêler des croyances et superstitions de mon peuple, tant que
celles-ci ne menaceront pas l’ordre public. Quand bien même je déciderais de
légiférer à ce sujet, je ne pourrais espérer réformer leurs âmes.
Ceci soulagea grandement les cardinaux. Au point qu’ils
passèrent de la servilité à la cajolerie. Si Théodoric ne souhaitait pas se
préoccuper des croyances de son peuple, sans doute ne verrait-il aucune
objection à ce que l’Église entreprenne de convertir les immigrants ariens et
païens à la foi locale, c’est-à-dire à la seule vraie croyance.
Théodoric haussa les épaules d’un geste tolérant.
— Vous êtes libres d’essayer. Je le répète, je ne
revendique nul empire sur l’esprit de mes sujets.
De cajoleurs qu’ils étaient jusqu’alors, les diacres
n’hésitèrent pas à devenir importuns. La campagne de conversion de l’Église
serait grandement facilitée, expliquèrent-ils, et satisferait très certainement
le pape Gélase, si Théodoric – dans la mesure où il ne se préoccupait
vraiment pas de ce que pouvait faire l’Église – acceptait de lui prodiguer
une formelle approbation. Il pourrait par exemple proclamer haut et fort qu’il
accordait sa bénédiction à tous les missionnaires et évangélistes catholiques,
les autorisant à se répandre parmi ses sujets ariens et païens pour y semer,
partout où n’avait poussé jusqu’alors que l’ivraie, le bon grain de la vérité,
et ce dans le but sacré de…
— Un instant, les arrêta Théodoric d’un ton froid. Je
vous ai donné ma permission. Je ne vais pas la transformer en ordre de mission.
Je n’entends cautionner nul prosélytisme de votre part, pas plus que je ne
tolérerais celui d’un devin de la Vieille Religion.
Sur quoi la délégation se mit aussitôt à se frapper le
front, à se tordre douloureusement les mains et à pousser des gémissements à
fendre l’âme. Leur sincère affliction aurait peut-être impressionné certains
observateurs, mais Théodoric en conçut simplement de l’ennui. Il congédia
sommairement les clercs, ce qui eut le don de les mettre pour de bon dans tous
leurs états. Vu leur inquiétude initiale, ils auraient pu repartir soulagés,
mais ils revinrent à Rome en maugréant qu’ils avaient été rudement chassés sans
s’être vu octroyer une écoute digne de ce nom.
Théodoric n’oublia pas l’incident et se garda bien de le
minimiser. Peu après, il publia un édit qui fut maintenu durant tout son règne.
Depuis lors, nombre de gouvernants, de théologiens et de
philosophes se sont émerveillés de la nouveauté d’un tel principe chez un monarque,
tandis que presque autant d’autres s’en offusquaient violemment, indignés de la
folie de cet acte. Le texte en était simple : Religionem imperare non
possumus, quis nemo cogitur ut credat invitus. Galáubeins ni mag weis
anabudáma ; ni ains hun galáubjáith withra is wilja. « Nous ne
pouvons imposer de religion. Nul ne peut être contraint à rejeter ses
croyances. »
L’Église de Rome était bien sûr mandatée pour faire adopter
sa religion à l’humanité tout entière ; il fallait réduire les sujets à sa
foi. Si jusqu’alors ses représentants s’étaient juste méfiés de Théodoric comme
d’un incroyant et d’un intrus, son édit non possumus le fit passer dans
leur esprit au rang d’ennemi mortel de leur mission en ce monde, de leur sainte
vocation, de la raison même de leur venue sur cette terre. Ils purent reprendre
à leur compte cette parole de Jésus : « Qui n’est pas avec moi est
contre moi. » À compter de ce moment, l’Église catholique n’aurait de
cesse d’œuvrer implacablement à la chute de Théodoric, s’opposant sans relâche
à toutes ses décisions.
Lorsque Jean, l’archevêque de Ravenne, fut soudain frappé
d’une mystérieuse maladie, l’on murmura que la hiérarchie catholique ne lui
avait pas pardonné d’avoir cautionné l’arrivée au pouvoir de Théodoric, et
l’avait empoisonné. Si tel était le cas, il faut croire que Jean avait pardonné
sur son lit de mort à ses empoisonneurs, car au seuil du trépas, il formula un
mensonge destiné à discréditer Théodoric, cet ennemi juré de l’Église. Aux
prêtres qui lui donnèrent l’extrême-onction, il répéta ce qu’il m’avait dit un
jour : qu’il n’avait persuadé Odoacre de capituler à Ravenne qu’à la
condition que les deux rois
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