Théodoric le Grand
le paganisme séduise le
vulgaire, qui accueille favorablement toute ostentation de mauvais goût
susceptible d’illuminer sa petite vie étriquée. Mais quant aux gens un peu plus
raffinés, comment voulez-vous qu’ils acceptent les instructions et autres
admonitions de prêtres vêtus à la façon de minables paysans ? Si le
christianisme entend devenir plus attrayant que les cultes païens et
hérétiques, il faut que ses églises, ses clercs et ses cérémonies les dépassent
par leur magnificence. Le saint patron de notre propre basilique, saint Jean,
l’a lui-même suggéré : que les spectateurs puissent se dire avec
émerveillement et emplis d’admiration, « Tu as gardé le bon vin jusqu’à
maintenant ».
Je n’avais toujours pas le moindre commentaire à faire à ce
sujet, et il semblait évident que rien n’adoucirait l’opposition de Gélase à
son confrère le patriarche de Constantinople ou à cet hérétique de Théodoric,
aussi pris-je congé pour ne jamais le revoir.
Inutile de dire que je ne pleurai pas son décès, quand il
survint un an plus tard. Son remplaçant était moins rancunier et quelles que
fussent leurs différences doctrinales, lui et le vieil Akakiós trouvèrent un
terrain d’entente. Le nom du nouveau pape, Anastase II, était sans doute
le fruit d’une simple coïncidence, mais je doute que l’empereur du même nom en
ait été flatté. Nonobstant, peu après, l’empereur Anastase de Constantinople
proclama enfin la reconnaissance officielle du roi Théodoric. Pour en
témoigner, il lui fit parvenir les insignes royaux des empereurs romains –
diadème, couronne, sceptre, globe et croix de la victoire –, ornements
princiers qu’Odoacre avait renvoyés à Zénon trente ans auparavant.
La reconnaissance universelle de la souveraineté de
Théodoric ne l’amena pas à se donner de grands airs ou à prendre des poses
affectées. Jamais il ne revendiqua d’autres titres que celui de Flavius
Teodoricus Rex. Il ne prétendit pas à être reconnu comme roi de quoi que ce
soit : ni d’une terre, ni d’un peuple. Sur les médailles frappées, sur les
tablettes dédicatoires fixées sur les nombreux édifices bâtis sous son règne,
jamais il ne fut désigné roi de Rome, roi d’Italie, roi de l’Empire d’Occident,
ni même roi des Ostrogoths. Théodoric se contentait d’incarner la fonction
royale par des faits, des actes et des réalisations.
Les gens d’Église, par contraste, n’ont jamais brillé par
leur dédain des titres qu’on a pu à un moment ou un autre leur décerner, qu’ils
s’estiment le droit de revendiquer, ou qu’ils se sont inventés pour leur usage
personnel. Comme Gélase avant lui, Anastase II continua d’exiger le titre
de souverain pontife, celui plus honorifique de pape, et lorsque l’on
s’adressait à lui, cette formule rituelle de « patricien glorieux entre
tous ». Ses trois successeurs ne dérogèrent pas à l’usage. Comme Gélase,
tous portèrent de splendides tenues et la mode s’en étendit progressivement
parmi les cardinaux, puis les prêtres. Les rituels de l’Église furent bientôt
outrageusement illuminés de bougies, parfumés d’encens et décorés de fleurs,
tandis que les cortèges s’ornaient de croix incrustées d’or, de crosses, de
riches calices.
Cela dit, dès l’époque de mon entretien avec Gélase, j’avais
clairement compris ses raisons de réclamer une Église plus démonstrative et
attrayante à la fois pour le petit peuple et pour les citoyens de la haute
société de la ville. Avant mon arrivée à Rome, j’avais naturellement imaginé
que la cité centrale de l’Église catholique devait être chrétienne des pieds à
la tête. Mais je ne tardai pas à apprendre qu’elle ne l’était guère qu’au
milieu, au sens littéral du terme. Les membres à part entière de l’Église
étaient presque intégralement des gens travaillant la matière : forgerons,
réparateurs, artisans, ouvriers… et tous ceux – à l’exception des Juifs,
bien entendu – qui achetaient et vendaient des biens : marchands et
autres négociants, affréteurs de navires, vendeurs, changeurs, tenanciers d’échoppes,
ainsi que leurs épouses et leurs enfants. Je ne pouvais que me remémorer
l’assertion du vieil ermite gépide Galindo, qui affirmait que le christianisme
est une croyance de négociants.
Le caupo Ewig et nombre d’étrangers résidant à Rome
étaient ariens, par conséquent
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