Théodoric le Grand
l’astronomie de Ptolémée,
l’arithmétique de Nicomaque, la géométrie d’Euclide, la théorie de la musique
de Pythagore et des traités d’Aristote relatifs à tous les autres sujets ou
presque. Jamais je n’ai connu de bibliothèque mieux garnie que la sienne et
cette grande pièce était tapissée de meubles en ivoire et en verre, afin de
mettre dignement en valeur ces trésors. Ne l’imaginez pas pour autant en
tâcheron érudit couvert de poussière ; il savait aussi se muer en artisan
très inventif. À l’occasion de telle ou telle célébration, il fut capable de
fabriquer pour l’offrir à Théodoric une clepsydre délicatement sculptée, ou une
sphère armillaire aussi ingénieuse que complexe sur laquelle la statue du roi,
mue par un astucieux dispositif, demeurait constamment tournée vers le soleil.
Boèce devait peut-être ses penchants littéraires au sénateur
et préfet Symmaque, ce dernier ayant été l’auteur d’une Histoire de Rome en
sept volumes. Boèce, resté orphelin très jeune, fut recueilli et élevé dans la
maison de Symmaque, qui devint par la suite son beau-père et demeura tout au
long de sa vie aussi bien un ami qu’un mentor. Le bon Symmaque avait été préfet
sous le règne d’Odoacre, mais étant d’une famille noble, riche et par
conséquent indépendante, il n’était redevable d’aucune faveur particulière à ce
despote. Aussi Théodoric le conserva-t-il avec plaisir à son poste, jusqu’à ce
que, quelques années plus tard, le Sénat ne l’élève à la dignité de princeps
senatus, poste qui lui conféra la présidence d’honneur de cette noble
assemblée, et l’absorba dès lors à plein temps.
Le Cassiodore que j’ai cité était l’un des deux à porter ce
nom (il y eut en effet le père et le fils), et tous deux furent des membres
éminents de la cour de Théodoric. Cassiodore père avait également servi sous
Odoacre. Il conserva lui aussi ses fonctions, pour la bonne raison qu’il était
le meilleur à son poste. Il détint en fait deux titres généralement alloués à
deux fonctions distinctes : à la fois cornes rei privatae et cornes
sacrarum largitionum, il fut en charge, à lui seul, de la direction des
finances, de la collecte des taxes et de la supervision des dépenses publiques.
Son fils Cassiodore, exactement du même âge que Boèce, fut
engagé auprès de Théodoric comme exceptor et questeur, et c’est lui qui
fut chargé de rédiger sa correspondance officielle ainsi que ses décrets
publics. Cassiodore fils était l’auteur du plus long des trois palindromes
précédemment cités, ce qui donnera peut-être une idée de son style,
particulièrement prolixe et fleuri. Mais c’était précisément ce que recherchait
Théodoric. Sa proclamation non possumus relative aux différentes
religions, formulée avec la raideur de langage inhérente au monarque, avait été
reçue avec une telle froideur par beaucoup que Théodoric estima de bonne
politique de modeler tous ses édits ultérieurs dans un style éminemment plus
châtié.
Et Cassiodore y excella sans contredit. Je me souviens que
Théodoric reçut un jour une lettre émanant d’une de ses troupes se plaignant
d’avoir reçu le règlement de l’ acceptum de janvier en solidi d’un
poids anormalement faible. La réponse qui leur parvint, rédigée par Cassiodore,
commençait en ces termes : « Les phalanges de perle lustrées d’Éos,
la jeune aurore, entrouvrent d’un geste frémissant les portes orientales de
l’horizon doré… » et plus loin, son texte se perdait en considérations sur
« la sublime nature de l’arithmétique, laquelle gouverne la terre à
l’instar des deux… ». J’ignore où fut envoyée cette missive tarabiscotée
et si la complainte des soldats trouva finalement une résolution satisfaisante,
mais je me suis longtemps demandé ce qu’avait pensé le groupe de durs à cuire à
qui elle parvint, lorsqu’ils en découvrirent l’exquise teneur.
Quoi qu’il en fut, avec des Romains aussi sages et capables
que ceux désormais assis aux tables du conseil à Rome et à Ravenne, Théodoric
se trouvait à la tête d’un gouvernement plus brillant, plus érudit et plus
habile que tous ceux qui avaient eu l’honneur de servir l’État depuis les jours
dorés de Marc Aurèle.
33
L’aide efficace de ses administrateurs romains et de ses
fidèles hommes d’armes pour veiller aux affaires intérieures de son royaume
permit
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