Théodoric le Grand
très tôt à Théodoric de se concentrer sur la protection de ses
frontières, et de conclure de fraternelles alliances avec les rois étrangers
qui auraient pu lui nuire. Plusieurs femmes loyales de son entourage y
contribuèrent. Le mariage de sa fille Arevagni avec le prince Sigismond lui
avait déjà concilié les faveurs de la cour des Burgondes, et sa propre union
avec Audoflède en avait fait le beau-frère de Clovis. Dès lors, il donna pour
épouse au roi des Vandales Thrasamund sa sœur Amalafrida, veuve depuis peu, et
maria dans la foulée sa fille cadette Thiudagotha au roi des Wisigoths
Alaric II, ainsi que sa nièce Amalaberga au roi Hermanafrid de Thuringe.
Ce fut durant mon premier séjour à Rome que j’eus l’occasion
de rencontrer sa sœur, en route vers le port d’Ostie où elle devait s’embarquer
pour aller rejoindre son futur époux. Je me fis un plaisir de l’accueillir, de
renouer avec elle et de veiller à son confort durant son bref passage dans la
cité. Je lui offris de s’installer avec sa suite dans ma toute nouvelle
résidence d’ambassadeur du Vicus Jugarius et lui présentai mes amis
romains – ceux du cercle de Festus, et non les relations d’Ewig. Je me fis
un devoir de l’accompagner personnellement aux jeux du Colisée, et nous
assistâmes à plusieurs pièces jouées au Théâtre Marcelli ainsi qu’à d’autres
spectacles, tant j’avais senti que son moral chancelant en avait besoin. Elle
finit par me confier, avec ce ton très mesuré qui était le sien :
— Étant à la fois fille de roi, sœur de roi et veuve
d’un herizogo, je suis bien sûr habituée à servir la raison d’État. Et
c’est évidemment de gaieté de cœur que je cours épouser le roi Thrasamund.
Pourtant… (elle eut un petit rire timide), je sais bien qu’une femme de mon
âge, mère de deux enfants déjà presque adultes, devrait se réjouir d’avoir la
chance d’épouser un second mari quel qu’il soit, un roi à plus forte raison.
Mais je vais laisser mes enfants derrière moi, quitter cette terre pour un
nouveau continent, dans une ville réputée n’être que le repaire fortifié d’une
bande de pirates. Et s’il faut en croire les rumeurs au sujet des Vandales,
j’ai peu de chances de trouver à Carthage une cour cultivée, ni un mari
attentionné et aimant en la personne de Thrasamund.
— Permettez-moi de vous rassurer un peu, princesse, lui
répondis-je. Je n’ai moi-même jamais posé le pied en Libye, mais j’en ai eu
certains échos, ici à Rome. Les Vandales sont une nation de marins, c’est vrai,
toujours prêts à se battre pour que leurs bateaux puissent circuler librement
sur les eaux de la Méditerranée. Mais n’importe quel marchand vous expliquera
que ce n’est que bonne politique et que c’est ce commerce qui a précisément
enrichi les Vandales. Croyez-moi, ils ont investi leurs richesses dans d’autres
choses que de simples fortifications et des bateaux de guerre. Thrasamund vient
en effet d’achever d’équiper Carthage d’un amphithéâtre et de vastes thermes
qui, à en croire ce qui m’a été rapporté, dépassent en taille tout ce qui s’est
fait sur ce continent, à l’exception de l’Égypte.
— Cependant, tempéra Amalafrida, voyez ce que les
Vandales ont fait subir à cette cité de Rome où nous sommes, il y a seulement
quarante ans. Vous ne nierez point que leurs déprédations sont encore visibles…
ces ruines attestent assez la violence avec laquelle ils s’en sont pris aux
monuments les plus glorieux du monde !
Je secouai la tête.
— Vous vous méprenez ; ce que vous voyez est
l’œuvre des Romains eux-mêmes et ces ravages sont postérieurs à l’occupation
vandale.
Je lui expliquai la façon dont ceux-ci dépouillaient sans
vergogne les édifices antiques.
— Lors de leur passage dans cette ville, les Vandales
ont certes pillé les richesses qu’ils pouvaient emporter, mais ils ont pris
grand soin de ne point endommager la Cité éternelle proprement dite.
— Vraiment, maréchal Thorn ? En ce cas d’où leur
vient leur universelle réputation de destructeurs sans scrupules de tout ce qui
est raffiné et beau ?
— Souvenez-vous toujours, princesse, que les Vandales
sont des ariens, comme vous-même et votre royal frère. Cependant, à l’inverse
de Théodoric, les rois vandales ne se sont jamais montrés tolérants envers les
catholiques. Nulle part en leurs terres d’Afrique ils n’ont
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