Théodoric le Grand
chefs tribaux rencontrés
en cours de route que nous étions leurs compatriotes, représentant leur chef
tutélaire à tous, le Grand Théodoric – Dieterich af Bern, comme
beaucoup l’appelaient désormais – dont le seul but était d’ouvrir une
large et paisible voie de communication vers ses terres, pour le plus grand
bénéfice mutuel. Je n’eus à m’opposer qu’à trois ou quatre de ces rustiques
gouverneurs, et un ou deux à peine tentèrent de résister activement : nous
contournâmes alors leurs fiefs et continuâmes notre route. Je laissai des
garnisons à intervalles réguliers en chemin, à charge pour elles d’établir sur
place un poste de garde et de recruter des guerriers locaux pour leur prêter
main-forte. Lors d’un second voyage, beaucoup plus lent et laborieux, je menai
non pas une troupe de cavalerie, mais un nombre considérable de familles
désireuses de tenter l’aventure en allant s’établir dans des contrées
lointaines et peu peuplées. Je les égrenai le long de cette route afin qu’elles
édifient sur le trajet tabernae et étables qui deviendraient peut-être
l’embryon d’un futur village, voire d’une petite cité.
Avant que le premier de ces voyages m’ait conduit jusqu’à
Pomore, sur le golfe Wende, j’avais appris de la bouche de voyageurs que les
Ruges n’étaient plus gouvernés par la reine Giso. Elle n’avait pas survécu bien
longtemps à son royal époux, et c’était le neveu du roi Feva-Feletheus qui lui
avait succédé, un jeune homme du nom d’Eraric. Ayant eu vent de mon approche,
celui-ci m’accueillit à bras ouverts, car il ne rêvait que d’une belle route
praticable toute l’année pour relier sa contrée à celle de Théodoric. Je
n’ignorais pas en effet que la rivière Viswa, seule voie d’accès des Ruges vers
l’intérieur de l’Europe, était impraticable durant la longue période hivernale.
Même par temps clément, elle ne permettait qu’un lent et laborieux voyage vers
le sud, en luttant contre le puissant courant contraire.
Aussi Eraric dépêcha-t-il avec joie, vers les divers postes
que j’avais établis sur cette route, un certain nombre de ses soldats ruges,
ainsi que des paysans kachoubes et wiltzes, qui vinrent renforcer les troupes
que j’y avais mises en place. Les soldats occuperaient les postes de garde
tandis que les paysans slovènes défricheraient et nivelleraient la piste afin
de l’améliorer, puis bâtiraient tout du long des auberges. Ces derniers n’étant
bons qu’aux tâches les plus rudes, ils rentreraient à Pomore une fois le
travail achevé, et d’autres familles ruges un peu plus évoluées viendraient
prendre en charge les établissements construits.
Dès qu’Eraric et moi eûmes conclu tous ces arrangements, je
courus retrouver mon vieux compagnon Maghib, que je trouvai installé dans une
vaste maison de pierre. L’Arménien possédait maintenant un embonpoint presque
aussi avantageux que son partenaire Meirus et l’élégance de sa tenue n’avait
rien à lui envier. Son teint était plus huileux que jamais et sa langue
toujours aussi bien pendue.
— Ja, Saio Thorn, la reine Giso nous a quittés
il y a déjà un bon moment. Quand la nouvelle de la mort de son fils et de son
mari lui est parvenue, elle a sombré dans une frénésie si violente qu’un
vaisseau de son cerveau a cédé, peut-être entamé par ses dents formidables. Non
qu’elle se fut lamentée sur le sort de ses proches, ne vous méprenez pas ;
simplement, elle enrageait de voir tourner court ses rêves d’un règne plus
éclatant encore. Croyez-moi, en tout cas, cela a été pour moi une véritable
bénédiction, car cette infatigable harpie avait fini par me fatiguer le… enfin,
le nez, si vous voyez ce que je veux dire. J’ai épousé ensuite une jeune femme
d’une condition un peu plus en rapport avec la mienne. Depuis lors, nous nous
sommes soutenus pour accéder à une vie meilleure.
Il s’interrompit un instant pour me présenter sa femme, une
paysanne wiltze au large visage et puissamment charpentée.
— Comme vous pouvez le voir, Hujek et moi avons plutôt
prospéré du juteux commerce de l’ambre.
— La nouvelle route commerciale que j’ouvre vers le Sud
devrait le rendre encore plus fructueux, fis-je remarquer. Si tu te souviens
bien, Maghib, je t’ai promis il y a des années que Théodoric te prouverait sa
reconnaissance pour le vaillant secours de ton nez à l’égard de la reine
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