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Théodoric le Grand

Théodoric le Grand

Titel: Théodoric le Grand Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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d’Occident ; on pouvait dorénavant le
considérer, avec fierté, comme le royaume des Goths. Tout simplement.

 
35
    J’aimerais vous montrer à quel point le royaume était à la
fois tranquille et apaisé, durant les jours heureux du règne de Théodoric.
    Je me trouvais dans le palais du roi à Mediolanum, un jour
où il devait recevoir en personne les plaintes et doléances de ceux de ses
sujets qui estimaient ne pas avoir été correctement traités par les autorités
inférieures ou les magistrats subalternes. Alors que j’accompagnais Théodoric
et ses quelques conseillers vers la chambre d’audience, nous fûmes tous
extrêmement surpris de n’y trouver aucun plaignant. Les conseillers et moi-même
osâmes gentiment une ou deux plaisanteries, selon lesquelles il gouvernait un
peuple si hébété qu’il ne songeait même plus à être procédurier.
    Comme le suggéra Boèce :
    —  Plebecula inerte, inerudite, inexcita [143] .
    —  Non, non, non, fit Théodoric, affichant bonne
humeur et tolérance. Un peuple tranquille est au contraire le meilleur
compliment pour un monarque.
    — Qu’est-ce qui te permet de supposer, demandai-je, que
les citoyens seraient plus satisfaits sous ton règne que sous celui des
précédents seigneurs du pays, lesquels n’étaient pourtant pas, comme on le dit
de nous, de frustes étrangers et d’indécrottables hérétiques ?
    Il prit le temps de réfléchir avant de me répondre.
    — Peut-être parce que j’essaie de garder en mémoire un
détail que nous devrions toujours avoir présent à l’esprit, bien que ce soit
rarement le cas. Toute personne, qu’il s’agisse d’un roi, d’un membre du peuple
ou d’un esclave, d’un homme, d’une femme, d’un eunuque ou d’un enfant, et même,
je crois, d’un simple chien ou d’un chat, est le centre de l’univers. Ce
devrait être une évidence pour chacun de nous. Mais étant nous-mêmes le centre
de notre univers, nous ne nous arrêtons pas un instant pour voir que chacun
l’est.
    Cassiodore fils eut un regard légèrement incrédule :
    — Comment un esclave ou un chien pourrait-il être le
maître de l’univers ? fit-il, comme si lui seul et nul autre l’était
effectivement.
    — Je n’ai pas dit qu’il était le maître de quoi que ce
soit. Un homme peut accorder le respect à un ou plusieurs dieux, à son
suzerain, aux anciens de la famille, à tout être réputé supérieur. Et je ne
vous parle pas non plus d’infatuation ou d’amour exagéré de soi-même. Un homme
peut davantage aimer ses enfants que lui-même. Il peut aussi se sentir tout à
fait insignifiant. Très peu de gens, à la vérité, ont de légitimes raisons de
se sentir importants.
    Cassiodore, qui avait peut-être pris cette réflexion pour
une attaque personnelle, semblait à présent presque offensé. Mais Théodoric
poursuivit :
    — Pourtant, il n’en reste pas moins que tout ce qu’un
homme peut voir, entendre et comprendre tourne avant tout autour de lui.
Comment pourrait-il en être autrement ? De l’intérieur de sa tête, tout ce
qu’il regarde est situé à l’extérieur et n’existe que dans la mesure où cela
peut l’affecter d’une manière ou d’une autre. D’où l’incroyable intérêt qu’il s’accorde.
Ce qu’il a décidé de croire est la seule vérité qui lui soit nécessaire. Ce
qu’il ne connaît pas n’a pas besoin d’être connu. Tout ce qu’il n’aime pas et
qu’il ne déteste pas est pour lui d’intérêt secondaire. Ses besoins, ses
désirs, ses récriminations méritent une attention immédiate. Il attache plus
d’importance à la douleur de son rhumatisme qu’à la mort de son prochain,
dévoré par le ver de la charogne. La fin du monde est suspendue à sa mort à
lui.
    Théodoric s’arrêta un instant pour nous dévisager l’un après
l’autre.
    — Dites-moi, mes dignes compagnons, avez-vous
réellement conscience que l’herbe est en train de pousser, quand vous ne sentez
plus sa moelleuse souplesse sous la plante de votre pied ? Quand vous ne
respirez plus son doux parfum après la pluie ? Quand vous n’y laissez pas
votre cheval vaguer et s’en gorger à sa guise ? Cette herbe, qui n’a
d’autre raison de pousser que d’envelopper doucement votre tombe… avez-vous
songé combien vous étiez incapables de la voir, de l’admirer ?
    Personne ne répondit rien. L’air sembla soudain parcouru
d’un frisson, dans l’écho vibrant de la chambre

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