Théodoric le Grand
encore trop clémente. Il considérait le faux témoignage
comme un acte si lâche et méprisable qu’il décida que les coupables seraient
brûlés vifs.
Théodoric découvrit aussi en ces contrées romaines une
fraude qui n’était pratiquée que là. Dans l’Empire en effet, toute personne qui
vendait un bien et tout client désireux de l’acheter s’étaient habitués à se
faire arnaquer par un intermédiaire, qui achetait à l’un pour revendre à
l’autre. Cette pratique était due à la fâcheuse habitude des commerçants de
payer leurs marchandises à l’aide de pièces limées, ébréchées ou incisées, et
de ne servir à leurs clients que de chiches mesures de tout ce qu’ils leur
vendaient. Théodoric fit édicter par Boèce des critères stricts pour la
fabrication des monnaies et des capacités bien déterminées pour les poids et
mesures. Dès que ces pièces standardisées furent mises en circulation, Boèce
dépêcha sur les marchés des surveillants chargés de veiller au respect des nouvelles
normes en vigueur.
Dans son désir d’éradiquer cette corruption rampante et ce
favoritisme des hautes sphères de la société romaine, cette amicitia qui
n’était rien d’autre que de la connivence et de la malhonnêteté déguisées,
Théodoric n’épargna pas même ses proches. Son neveu Théodat fut accusé d’avoir
bénéficié de pratiques douteuses dans l’acquisition personnelle d’une vaste
demeure en Ligurie. Je n’en fus pas surpris, car dès sa jeunesse, ce fils
d’Amalafrida ne m’avait guère semblé très intéressant. Jamais on ne put prouver
une fraude incontestable dans la transaction foncière en question, aussi le
jeune homme ne fut-il pas poursuivi, mais la suspicion qui planait sur sa tête
suffit à Théodoric. Il lui demanda de rendre le terrain à ses propriétaires
antérieurs.
Sa détermination à rendre une justice impartiale à l’égard
de tous ses sujets le conduisit à décréter d’autres modifications de la loi
romaine, bien qu’il sût pertinemment qu’elles lui vaudraient de la part de ses
détracteurs un regain d’invectives. Ce qui aurait pu sembler n’être qu’un
changement mineur et ne portait que sur quelques mots, déclencha l’ire débridée
des Romains de souche et de l’Église de Rome. Il s’agissait d’une simple
précision stipulant que les cours de justice devaient traiter avec équité y
compris « ceux qui se trompaient de foi » ; on aurait fort bien
pu y inclure Théodoric, lequel n’avait pas embrassé la foi catholique, ou tout
autre arien, ainsi que tous les hérétiques et les païens. Mais la phrase
englobait de fait également les Juifs. Et l’Église s’en offusqua, horrifiée,
outragée, scandalisée.
— Vous rendez-vous compte qu’un de ces détestables
Juifs pourra fort bien, désormais, témoigner contre un honnête chrétien ?
rugissaient à l’encan les prêtres du haut de leurs chaires. Et être cru !
Toutefois, l’une des innovations de Théodoric emporta
l’assentiment et l’admiration de tous, y compris de ceux qui le maudissaient
par ailleurs. Lui et son sévère administrateur des finances, Cassiodore père,
mirent un terme aux excès de ceux qui collectaient les taxes pour le compte du
gouvernement. Jusque-là, ces exactores [133] ne
touchaient pour la tâche accomplie aucune rémunération de la part de l’État.
Les seuls émoluments qui leur revenaient étaient ce qu’ils parvenaient à
récolter en plus du montant légitime exigé. Certes, ce système avait toujours
assuré à Rome la perception du dernier nummus effectivement dû, mais il
avait en même temps enrichi les collecteurs de façon outrageuse, attisant
l’exaspération des contribuables à un point presque dangereux. On arrêta donc
la rémunération de ces percepteurs à un stipendium [134] fixe. Ils
furent alors scrupuleusement surveillés afin d’éviter de leur part tout nouvel
abus dans le cadre de leurs fonctions. Peut-être leur zèle dans le recouvrement
en fut-il légèrement affecté, et ce relâchement coûta probablement un peu
d’argent au Trésor royal, mais le peuple ne s’en porta que mieux. D’autre part,
Cassiodore père administra si bien le budget qu’un confortable surplus permit à
Théodoric de baisser les impôts, voire de les supprimer totalement dans les
régions ayant souffert de mauvaises récoltes ou de quelque autre calamité.
Il se soucia toujours davantage du bien-être des
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