Théodoric le Grand
roi !
Quand cette nature prétentieuse se fit jour et devint
évidente, même aux yeux d’Audoflède et de Théodoric, ils en furent bien sûr
profondément troublés et affligés ; mais le mal était fait, et il était
trop tard pour songer à y remédier. Je pense que Théodoric mérite dans une
certaine mesure l’indulgence pour avoir ainsi trop couvé la princesse, jusqu’à
en faire une virago. Ses deux autres filles avaient épousé des rois étrangers,
et celle-ci devrait lui succéder : elle deviendrait la reine, voire
l’impératrice Amalasonte. C’était d’elle et de son futur conjoint – qui
devrait, lui, être choisi avec le plus grand soin – que découlerait toute
la lignée royale de Théodoric le Grand.
*
Pour quelques-uns des projets à plus long terme de Théodoric
concernant le développement de la production et du commerce dans son royaume,
je fus son agent principal. Je conduisis une troupe de légionnaires et
d’ouvriers du génie militaire dans le sud de la Campanie pour rouvrir une mine
d’or depuis longtemps délaissée et recruter dans la région des travailleurs
pour la remettre en exploitation, puis en emmenai une autre le long de
l’Adriatique jusqu’en Dalmatie pour en faire de même avec trois autres, de fer
celles-ci, dans cette province. Dans chaque région, j’engageai un faber pour superviser les travaux, laissai sur place une turma de soldats pour
maintenir l’ordre, et y demeurai moi-même suffisamment pour m’assurer que la
production de la mine débutait véritablement, avant de m’en aller.
Rome avait été, à la grande époque, au centre d’un vaste
réseau de routes commerciales sillonnant toute l’Europe, mais le seul négoce
d’importance toujours en activité au commencement du règne de Théodoric
demeurait celui du sel, sur la piste reliant Ravenne à la Regio Salinarum. Le
roi souhaita naturellement redonner vie au trépidant commerce d’antan et il me
confia la mission de remettre les routes en activité, ce qui m’occupa quelques
années durant.
La réouverture d’un corridor Est-Ouest ne présenta pas de
difficultés majeures, celui-ci s’étendant au milieu de régions et de provinces
plus ou moins civilisées, de la mer Noire à l’Aquitaine. Certaines des antiques
voies romaines nécessitaient d’être réparées, mais dans l’ensemble les autres
étaient demeurées en état convenable, jalonnées de suffisamment de relais de
poste et d’auberges pour permettre aux convois de marchands d’y faire relâche.
La voie fluviale du Danuvius, efficacement surveillée par les flottes de
Pannonie et de Mésie, était également dotée d’assez de villages sur ses rives
pour constituer une intéressante alternative marchande à la route. Meirus le
Boueux fut fort honoré lorsque je lui offris d’être le préfet de Théodoric
chargé de superviser l’extrémité de ces routes de commerce. Sa ville de
Noviodunum constituait le terminus de la voie fluviale sur la mer Noire, et il
fit tous les allers-retours utiles entre les autres ports situés au bout des
voies commerciales du continent, de Constantiana à Kallatis et d’Odessus à
Anchialus [137] . À ma grande surprise, il parvint à concilier
sans difficulté une surveillance irréprochable de cette fin de ligne avec ses
propres affaires, sans négliger pour autant l’envoi régulier d’esclaves à mon
académie de Novae.
La relance du commerce sur l’axe Nord-Sud fut plus ardue et
réclama davantage de temps, les régions situées au nord du Danuvius n’ayant
jamais été romaines, ni même civilisées par Rome, et n’ayant jamais nourri à
son égard une amitié particulière. Je fis pourtant mon possible pour y parvenir
et obtins pour l’Italie l’accès le plus sûr et le plus fiable de son histoire à
l’Océan Sarmate. Pour ouvrir cette voie, je suivis peu ou prou la route que
nous avions empruntée avec le prince Frido en descendant de la Côte de l’Ambre,
faisant en sorte que mon itinéraire ne prenne que des routes et pistes
praticables pour des chariots attelés et des convois de bêtes chargées.
Lors de mon premier voyage, je partis escorté d’une
puissante force de cavalerie, non de légionnaires mais de guerriers ostrogoths
et d’autres tribus germaniques. Si j’avais été pris pour le chef d’une force
d’invasion romaine, nous aurions certes rencontré une opposition bien plus
nourrie. Mais je parvins à convaincre les roitelets et
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