Théodoric le Grand
sa suprématie, car la guerre
annoncée ne dépassa pas le stade de l’escarmouche et du harcèlement. Forcé de conserver
le gros de ses troupes au contact de l’Empire perse, avec lequel l’affrontement
était continuel, il n’envoya contre l’Italie que quelques galères, lesquelles
ne firent que jeter l’ancre devant quelques-uns de nos ports méridionaux,
faisant mine de couper nos relations commerciales avec les pays méditerranéens.
Mais ces vaisseaux de guerre ne s’y attardèrent pas…
Le commandant en chef de notre marine, Lentinus, trop
heureux de reprendre du service, ordonna la construction de quelques nouveaux khelaí et les lâcha en mer à marée descendante. Quand trois ou quatre galères chargées
du blocus eurent mystérieusement pris feu de nuit, dans trois ou quatre ports
différents, le reste de la flotte leva l’ancre et regagna ses bases de la
Propontis. Cette guerre ne fut jamais officiellement close, pas plus gagnée que
perdue par l’un des deux camps. En tout cas, elle n’empêcha pas Théodoric et
l’empereur d’Orient, Anastase, puis son successeur Justin, de rester en bons
termes, ni de travailler au bonheur de leurs peuples respectifs pour leur plus
grand bénéfice réciproque.
La guerre suivante eut lieu en Occident et eut plus de
conséquences. Théodoric s’étant lié par des mariages à de nombreux monarques
voisins, il avait établi avec eux une concorde durable, mais ces liens ne les
avaient pas pour autant rendus amis entre eux. Au bout de quelque temps, des
frictions opposèrent l’un des beaux-frères de Théodoric à l’un de ses
beaux-fils, et ces frictions dégénérèrent en dispute.
Clovis, roi des Francs et Alaric II, roi des Wisigoths
réclamèrent tous deux certaines terres situées le long de la rivière Liger [140] qui faisait office de frontière entre leurs domaines respectifs de Gaule et
d’Aquitaine. Durant quelques années, il n’y eut que de fugitives échauffourées
entre riverains, escarmouches régulièrement stoppées par des trêves, suivies de
traités qui ne tenaient jamais très longtemps. Mais les deux rois finirent par
décréter la mobilisation et armèrent leurs troupes pour une véritable guerre au
sujet de ces terres. Théodoric tenta de s’interposer entre ces deux membres
indirects de sa famille, jouant de sa position neutre pour préserver la paix.
Il diligenta de nombreuses ambassades à Tolosa et à Lutèce [141] , capitales
respectives d’Alaric II et de Clovis. Mais rien ne put brider les
irascibles monarques, il apparut vite que la guerre était inévitable. Théodoric
choisit de s’allier avec Alaric. Prendre parti contre le frère et le peuple de
sa reine Audoflède dut être un crève-cœur pour lui. Mais nos liens avec la
dynastie Balthing d’Alaric et ses Wisigoths étaient plus profonds qu’une simple
relation maritale. Nous étions Ostrogoths et nos origines étaient communes.
Il se trouva pourtant que nos guerriers n’eurent guère à
s’employer en Aquitaine. Avant qu’ils ne puissent rejoindre leurs cousins
Wisigoths, le roi Alaric II avait été tué lors d’une bataille près de
Pictavus [142] et il fut vite évident que les Wisigoths avaient
perdu la guerre. Mais dès que notre armée donna à son tour l’assaut contre les
forces de Clovis, ce dernier baissa les armes et demanda la paix. En échange de
la conservation des terres qu’il avait gagnées autour de la rivière Liger, il
promit de nouer une solide alliance avec le successeur du roi défunt
Alaric II, son fils Amalric le nouveau roi des Wisigoths. Quand nos
généraux Tulum et Odoin acceptèrent les termes de cet accord, Clovis et ses
Francs se retirèrent, les Wisigoths en firent autant, et les nôtres rentrèrent
en Italie pratiquement indemnes.
Ce qui porta davantage à conséquence, ce fut qu’Amalaric
était encore un tout jeune garçon. Trop jeune pour régner, il eut donc pour
régente sa mère, la reine Thiudagotha. Le futur roi était le petit-fils de Théodoric,
sa mère étant la fille de ce dernier. Théodoric se retrouva de fait maître des
destinées conjointes des Ostrogoths et des Wisigoths. Pour la première fois
depuis des siècles, eux et nous avions un seul et même chef. Théodoric régnait
sur des terres bordant la Méditerranée de la Pannonie à l’Espagne en passant
par la Dalmatie, l’Italie et l’Aquitaine. Son domaine ne méritait plus le nom,
employé jusqu’alors, d’Empire romain
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