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Théodoric le Grand

Théodoric le Grand

Titel: Théodoric le Grand Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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dépourvus de féminité. D’autre
part, je pris soin, bien sûr, de n’employer que des jeunes gens n’ayant jamais
rencontré leur maître Thorn, et fis en sorte qu’ils ne puissent jamais
rencontrer ceux qui servaient ce dernier de l’autre côté du fleuve. Je séparai
ces domesticités avec la même rigueur déployée à dissocier mes identités,
cloisonnant soigneusement les cercles d’amis de Thorn et de Veleda, leurs
listes d’invités, les marchés et échoppes qu’ils fréquentaient régulièrement,
jusqu’aux forums et jardins publics où ils se promenaient le soir venu.
    Non seulement les esclaves de mes trois résidences, vu leur
nombre, n’étaient jamais surchargés de travail, mais ils avaient en plus la
chance de vivre dans un luxueux environnement. En effet, le commerce des
esclaves m’avait procuré un revenu largement supérieur à mon traitement de
maréchal et je dépensais généreusement mon argent, achetant tout ce dont
j’avais envie.
    Dans chacune de mes résidences, mes couches étaient garnies
de duvet véritable et le mobilier fabriqué en authentique marbre noir de
Laconie, en bronze de Capoue ou en cyprès blanc de Libye. Dans mes deux villas
romaines, les mosaïques intérieures avaient été réalisées par les mêmes
artistes qui avaient décoré la cathédrale Saint-Apollinaire. Les invités de
Thorn dînaient sur une table d’argent massif et le manche de tous les couverts
était orné d’un cygne sculpté. Tous les lits de la demeure de Veleda étaient
équipés d’un splendide miroir étrusque, qui renvoyait en même temps que l’image
reflétée un décor floral gravé dans les profondeurs du verre. Plats, coupes et
assiettes étaient tous de cette qualité venue d’Égypte appelée « verre
chantant » qui est plus chère que les pierres précieuses, car toute
timbale, gobelet ou bol posé sur la table devant les convives, résonne
littéralement en harmonie avec le son des conversations tenues alentour.
    J’avais suspendu dans ma ferme de Novae un instrument de
musique trouvé dans un village reculé de Bajo-Varia [144] , que je
n’ai jamais revu ailleurs. Le paysan qui me l’avait vendu n’avait aucune idée
de qui avait pu le fabriquer, ni de quand il pouvait dater, mais son antiquité
ne faisait aucun doute. Il était fait de pierres de taille croissante,
laborieusement évidées à la façon de coupes retournées. D’un poids allant de
quatre onces à quatre livres, toutes étaient suspendues à une corde (que je
remplaçai vite par des chaînes en argent) et elles émettaient, quand on les
frappait, des sons aussi purs et mélodieux qu’un chant humain. L’un de mes
domestiques de Novae, doué de talents musicaux, apprit à s’en servir, et il en
tira bientôt avec de petits maillets des sons aussi enchanteurs que ceux d’une
cithare.
    À ma table, dans chacune de mes résidences, mes invités et
moi dégustions des mets parfumés à la sauce garum et à l’huile de
Mosylon, arrosés d’un vin de Peparethus ayant bien sept ans d’âge, tout en
puisant fréquemment dans des soucoupes contenant du sucre de canne importé des
Indes lointaines ou un miel pâle venu des plaines d’Enna. Le repas était
accompagné de la musique jouée par une belle esclave sur une flûte, en harmonie
avec l’ambiance que je souhaitais créer : envoûtante et langoureuse, un
peu nostalgique parfois, ou au contraire vive et enjouée. Les thermes de mes
demeures offraient au visiteur tous les raffinements possibles, des onguents de
Magaleion à base de myrrhe destinés à adoucir et parfumer la peau, aux
tablettes de rose et de cannelle aromatisant délicatement l’air. Mais au-delà
des ornements prévus pour le décorum et le confort de mes invités, ce que je me
flattais surtout de leur offrir, à l’occasion d’un festin organisé chez moi,
c’était la richesse de la conversation.
    Parfois cependant, lorsque je me trouvais seul, je me
souvenais que tous ces raffinements et la valeur de ces objets précieux ne
m’avaient pas toujours préoccupé de la sorte. Dans ces moments-là, en admirant
tel ou tel ornement en ma possession, et alors que je découvrais, l’ayant
retourné, la marque de fabrique fièrement laissée par son créateur (ce jour-là
« Kheirosophos », mais ce pouvait être un autre artisan de renom), je
me mettais soudain à sourire intérieurement, me souvenant toutes les fois où je
m’étais jeté dans la rage de la bataille,

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