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Théodoric le Grand

Théodoric le Grand

Titel: Théodoric le Grand Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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sérénité.
    Lorsque je lui annonçai : « Je suis un mannamavi, un androgyne, une créature ayant les deux sexes à la fois », Livia
n’émit aucune exclamation, ne posa aucune question. Elle attendit avec
sang-froid que je lui fournisse les explications que je voulais bien lui
donner. Depuis, elle n’a jamais manifesté la moindre envie de constater de
visu ma spécificité physique. Elle ne m’a même pas demandé de lui détailler
ce qu’avait pu être la vie amoureuse d’un mannamavi. Au fil du temps,
c’est de la façon la plus naturelle que je lui ai décrit mes deux entités. Car
dès que je suis à Rome, je vais désormais la voir de plus en plus souvent.
    Nous nous sentons bien ensemble, tous les deux. Peut-être,
d’ailleurs, devrais-je dire… tous les trois. Bien sûr, j’y vais toujours
habillé en Thorn. Mais une fois chez elle, je peux parler à Livia comme le
ferait un homme à une femme, ou une femme à une autre femme. Et je discute avec
elle de sujets que je ne pourrais aborder avec personne d’autre. Après tout,
j’ai connu Livia avant toutes mes autres relations actuelles, avant même de
rencontrer Théodoric. C’est d’ailleurs de lui dont nous avons le plus souvent
parlé, ces temps derniers.
    — Tu sais, je ne plaisantais pas tant que ça. Pourquoi
ne pas avouer la vérité à ton roi, au sujet de ta nature ?
    —  Liufs Guth ! m’exclamai-je. Tu m’imagines
en train de lui dire que je l’ai trompé durant un demi-siècle ? S’il ne
mourait pas à l’instant d’une crise d’apoplexie, il veillerait sans doute à ce
que je périsse de façon bien pire !
    — Permets-moi d’en douter, répondit Livia.
    Elle se garda avec tact de formuler cette vérité, pourtant
évidente : désormais, plus personne ne porterait la moindre attention au
sexe qu’une vieille relique comme moi pouvait bien avoir eu.
    — Essaie… Dis-le-lui.
    — À quoi bon ? Chacun à la cour s’inquiète déjà de
ses pertes de mémoire… Un tel choc pourrait avoir sur lui des conséquences
calamiteuses.
    — Tu m’as dit toi-même que ses errances avaient
commencé durant la maladie de la reine puis s’étaient aggravées depuis son
départ. D’après toi, la seule femme de son entourage est désormais sa fille,
qui n’est qu’une affligeante peste. Nul doute qu’une nouvelle compagnie
féminine lui ferait le plus grand bien. Celle d’une femme de son âge. Qui le
connaisse bien. Et qui, chance étonnante, ait entretenu avec lui de vieux liens
d’amitié. Crois-moi ou pas, Veleda est ce qui pourrait lui arriver de mieux.
    — Comme ce que tu es pour moi aujourd’hui, c’est
cela ? demandai-je en hochant la tête. Merci de ta suggestion, Livia, mais
vois-tu… avant que je ne me décide à briser mon long silence à ce sujet,
Théodoric se trouvera dans un manque affectif désespéré, je le crains.
    — Et alors, ajouta-t-elle, il sera peut-être trop tard.
     
    *
     
    Qu’ils soient prêtres chrétiens, augures romains ou devins
goths, aucun de ceux qui croient connaître les ruses et subtilités des démons
n’a jamais pu combattre celles qui minent un homme dans la vulnérabilité de
l’âge. Et s’il existe un démon de la perte de la mémoire, tel celui qui s’était
emparé de Théodoric affligé par la perte de sa femme Audoflède, d’autres
attendaient leur tour de s’infiltrer dans les éventuelles failles de son
armure. Et ils devaient en trouver, car depuis, chaque nouvelle année a ébranlé
d’un lourd coup de bélier ses défenses affaiblies.
    Sa femme était morte en l’an de grâce 520. L’année suivante,
en 521, lui parvint de Lugdunum la nouvelle du décès de sa fille aînée,
Arevagni. Le roi aurait à la rigueur pu s’en consoler, la vie de celle-ci ayant
été heureuse et sa mort, survenue en plein sommeil, plutôt paisible. Durant les
cinq dernières années de sa vie, elle avait même eu l’honneur de porter le
titre de reine des Burgondes, son mari Sigismond ayant succédé à son père en
516. Elle avait connu de plus les joies de la maternité ; un fils nommé
Segeric lui était né, qui reprendrait selon toute vraisemblance le trône
burgonde.
    Mais à peine un an plus tard, en 522, d’autres nouvelles,
épouvantables celles-là, lui parvinrent encore de Lugdunum. Devenu veuf,
Sigismond s’était bien vite remarié, et sa nouvelle épouse, évidemment
désireuse d’avoir, elle aussi, une descendance et de lui assurer un avenir

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