Théodoric le Grand
promesse de conserver l’arianisme comme religion d’État. Mais dès
que son prédécesseur eût rendu le dernier soupir, Hildéric s’empressa de renier
son serment.
La première mesure qu’il prit fut de faire emprisonner la
veuve du roi défunt, sœur de Théodoric, dans un palais retiré ; arienne et
hautement respectée par le peuple, elle eût pu contrecarrer ses plans. Hildéric
s’empara ensuite de toutes les églises ariennes de ses terres d’Afrique. Après
en avoir expulsé tous les prêtres et évêques, il demanda aux Églises de Rome et
de Constantinople de pourvoir immédiatement à leur remplacement par « de
pieux ecclésiastiques haïssant les hérétiques ». Enfin pour faire bonne
mesure, sous prétexte que le royaume des Goths de Théodoric était arien donc
détestable, il interdit aux Vandales toute forme de commerce avec cet ancien
allié et commença à se rapprocher de l’empereur Justin, le maître de l’Empire
d’Orient.
Théodoric en fut bien sûr outragé, mais il n’avait cette
fois nul moyen de donner libre cours à sa fureur. Aucune armée ne pourrait, sur
son ordre, franchir au galop les eaux de la Méditerranée. Tout ce qu’il pouvait
faire était de lancer la construction d’une flotte capable d’attaquer Carthage
afin d’amener Hildéric à résipiscence.
— Mille bateaux ! aboya donc le roi au navarchus de la marine romaine. J’ai bien dit mille : cinq cents armés pour
combattre sur mer, les autres emplis de troupes de cavalerie en armure. Et je
les veux rapidement.
— Ce sera fait, fit Lentinus, imperturbable. Dans les
plus brefs délais. Mais pour un projet de cette importance, autant vous le
dire, Théodoric, cela nous engage à un délai d’environ trois ans.
Un roi a beau disposer d’infinies possibilités de pressions
morales, de menaces fortement incitatives, voire comminatoires, ainsi que de
punitions et de châtiments redoutables, il reste impuissant contre la froide
intransigeance du temps. Théodoric dut donc attendre que les bateaux en
question soient construits. Frustré par son impuissance, déprimé par cette
frustration et rendu vulnérable par sa dépression, il fut souvent encore sujet
à des pertes de mémoire, à quoi s’ajoutèrent bientôt les démons conjugués du
soupçon, de la défiance et de l’anxiété.
Au moindre ordre qu’il donnait à l’un des serviteurs du
palais, il se voyait répondre humblement :
— Je l’ai déjà fait, seigneur. Pas plus tard qu’hier.
— Quoi ? De quel droit t’es-tu permis de faire une
chose pareille avant que je t’en donne l’ordre ?
— Mais vous me l’avez ordonné, mon seigneur !
Hier.
— Jamais de la vie ! Impudent nauthing, non
seulement tu oses anticiper mes désirs, mais tu as le front de me mentir ?
Majordome, débarrassez-moi de ce vaurien, et veillez à ce qu’il soit puni comme
il convient.
Le majordome ayant déjà été confronté à plusieurs reprises à
de tels épisodes, la « punition » du domestique consistait simplement
à l’écarter de la vue de son roi jusqu’à ce que ce dernier ait oublié
l’incident.
Je dois cependant souligner que tous les soupçons de
Théodoric quant à d’éventuels complots, conspirations et persécutions à son
encontre n’étaient pas sans fondement. Il était bel et bien entouré de toutes
parts de gouvernants – et derrière eux, de nations et de peuples –
hostiles à sa religion arienne et du même coup à sa domination sur le royaume
des Goths. À l’est, l’empereur Justin, Justinien et Théodora entretenaient des
rapports si étroits avec l’Église d’Orient que leur Empire pouvait être
considéré de fait comme une théocratie orthodoxe. Au nord-ouest, Clovis, le roi
des Francs, jadis païen, s’était récemment converti à la religion catholique.
Il avait même fait de cette conversion et de son baptême un spectacle public,
partageant son sort avec quatre mille de ses citoyens de Lutèce. Au sud, le roi
Hildéric avait rallié de force la nation vandale au même catholicisme.
Théodoric se trouvait donc désormais entouré d’antiariens. Certes, aucun
d’entre eux ne s’était encore déclaré ouvertement belliqueux, hormis Carthage
en rompant ses relations commerciales. Mais bien entendu, l’Église de Rome
entretenait partout des agents actifs encourageant tous les vrais chrétiens à
prier, à payer la dîme et à tout mettre en œuvre pour que le trône de
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