Théodoric le Grand
lorsque Théodoric,
loin de me réprimander, se contenta de me sourire et de me taquiner pour m’être
ainsi retrouvé aisanasa, c’est-à-dire avec un « nez de
cuivre », comme on dit dans la Vieille Langue. Il m’apprit aussi que
Widamer, repartant très tôt pour l’Aquitaine, avait déjà quitté le palais, et
qu’il n’avait commenté que d’un petit rire indulgent mon inconvenance avinée.
Aurora me jeta quant à elle un coup d’œil, gloussa d’un air maternel et se
dandina en direction de la cuisine pour me préparer une coupe de vin de
Camerium aromatisé d’armoise et de costmary. Elle me l’apporta en me
disant dans un sourire : Tagl af wulfa, soit dans la Vieille
Langue : « la queue du loup qui t’a mordu ». Me confondant en
remerciements, je l’avalai.
Je n’étais donc pas tombé dans une irrémédiable disgrâce, et
ce bref épisode discourtois ne me fut point reproché. Ni Théodoric ni Aurora ne
cherchèrent d’ailleurs à revenir à la charge avec des questions comme :
« Et alors, au fait, quelle marque de naissance ? » au sujet de
l’inoffensif secret de Widamer que j’avais divulgué.
En tout cas, si personne ne semblait vouloir me reprocher
mon attitude, je n’étais pas aussi indulgent envers moi-même, me rendant compte
que Widamer avait agi avec une décence dont je n’avais pas su faire preuve.
Quels qu’aient pu être ses soupçons ou intuitions au sujet de mon intime et
sombre secret, il ne s’en était épanché auprès de personne. C’est du moins ce
que je crus à l’époque. Ce n’est que bien plus tard, en un tout autre lieu, que
je réalisai toutes les répercussions qu’avait entraînées cette rencontre, en ce
jour fatidique, entre Veleda/Thorn et Widamer.
QUÊTE
7
Ainsi s’écoula le temps. Je m’activais, ce qui n’a rien à
voir avec agir, jusqu’à ce que je réalise combien le temps avait passé. Cette
prise de conscience intervint le jour où sortant de ma ferme pour me rendre à
Novae, je rencontrai dans la rue le médecin de la cour, Frithila.
— Vous êtes au courant des dernières nouvelles, Saio Thorn ? me dit-il. La nuit dernière, Dame Aurora a mis au monde une
nouvelle petite fille.
— Vraiment ? Il faut que je fonce au palais
présenter mes félicitations et offrir quelques cadeaux. Mais attendez… gudisks
Himins ! fis-je, essayant de calculer mentalement. Cela veut dire que
j’ai stagné dans cette frivole retraite depuis la naissance du premier enfant
du roi ! Sans compter qu’Arevagni a déjà bien grandi… Où est donc passé
tout ce temps ?
Frithila se contenta d’un grognement, et je lui fis
remarquer :
— Vous ne semblez guère joyeux, Frithila, de ces bonnes
nouvelles.
— Elles ne sont pas que bonnes. Aurora est morte en lui
donnant le jour.
— Gudisks Himins ! lâchai-je, véritablement
choqué, car je ressentais pour Aurora une tendresse toute fraternelle. C’était
pourtant une fille solide, de bonne souche paysanne. Y a-t-il eu des
complications inhabituelles ?
— Aucune, soupira-t-il, ouvrant les mains d’un air
désespéré. Elle est arrivée à son terme et a commencé ses contractions tout à
fait normalement. Il ne semblait pas qu’elle dût souffrir plus que pour
n’importe quel accouchement, et la sage-femme a constamment fait en sorte
qu’elle supporte au mieux la douleur. La délivrance s’est faite sans
difficulté, et l’enfant semblait normale à tous égards. C’est alors que Aurora
est subitement tombée dans le coma, et ne s’est pas réveillée.
Il haussa les épaules, et conclut simplement :
— Gutheis wilja theins… « Dieu l’a voulu
ainsi. »
Je répétai cette même formule pieuse à Théodoric, lorsque je
vins lui présenter mes condoléances : Gutheis wilja theins.
— Dieu l’a voulu ainsi, hein ? fit-il,
amer. Prendre une vie sans tache ? Me priver de ma compagne
bien-aimée ? Enlever leur mère à deux enfants ? C’était ça, la
volonté de Dieu ?
— Si l’on en croit la Bible, arguai-je, Dieu s’est lui
aussi privé. Il a offert son fils unique…
— Akh, balgs-daddja ! gronda Théodoric, la
rage au cœur.
Je fus saisi de le voir traiter les Saintes Écritures de
« foutaises ». Mais en rajoutant encore dans le blasphème, il se mit
à divaguer :
— C’est justement le caractère hypocrite et mensonger
de cette histoire de la Bible qui fait que je refuse de révérer Jésus-Christ,
de le
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