Théodoric le Grand
le comportement libertin de Thorn
comme de Veleda à l’époque, pas plus que je ne pense devoir m’en excuser. Ce
fut une des rares périodes de ma vie où j’eus l’occasion de donner un peu de
plaisir à ma double personnalité, et j’aurais eu tort de ne pas en profiter.
Si rapaces qu’aient pu alors paraître ces agissements, dans
cette façon de prendre puis de laisser mes partenaires, aucun d’entre eux,
hommes libres ou esclaves femelles, ne se plaignit d’avoir été blessé par notre
relation. Si j’ai occasionné quelque dérangement, ce fut peut-être à leurs
futurs amants, femmes ou maris, dont les mérites en tant que dispensateurs de
plaisir auront pu souffrir d’une éventuelle comparaison.
De tous mes amants d’alors, un seul m’a vraiment
marqué : Widamer. Et j’ai quelque raison de conserver ce nom en mémoire.
Nous ne nous sommes vus qu’à deux reprises, mais ma rencontre avec Widamer, à
Novae, devait en induire plus tard une seconde, la plus ahurissante que j’ai
connue de ma vie, la plus fantastique peut-être qui puisse marquer l’existence
sur cette terre de n’importe quel être humain.
Je rencontrai Widamer sur une place de marché de Novae,
d’une façon peu différente de mes précédentes rencontres, et nous trouvâmes un
prétexte quelconque pour nous présenter l’un à l’autre et faire connaissance.
Widamer avait quatre ou cinq ans de moins que moi, et bien que vêtu comme
n’importe quel autre Goth d’un rang acceptable, il arborait un style légèrement
étranger qui me fit penser à un Wisigoth plutôt qu’à un Ostrogoth. Dès notre
première conversation, il confirma cette impression. Il arrivait d’Aquitaine
chargé d’un message, et m’expliqua qu’il ne resterait à Novae que le temps d’en
rapporter une réponse écrite. Après quoi, il rentrerait chez lui.
Cela me convenait parfaitement. Je préférais un visiteur de
passage à un résident permanent. Il ne risquerait pas ainsi de s’incruster
auprès de moi, prétendant devenir mon seul et unique amour et devenant du même
coup une pénible nuisance. J’aurais cependant dû interroger Widamer plus à fond
sur son identité et ses références. Je l’aurais certainement fait, si quelque
chose dans son apparence ne l’avait pas rendu, dès l’abord, si captivant à mes
yeux. Widamer ressemblait en effet comme une sorte de frère jumeau au jeune et
encore anonyme Théodoric avec lequel j’avais naguère traversé la Pannonie. Il
avait les mêmes traits, le même teint, la même stature, tout en étant presque
aussi beau que son modèle, et quelque chose dans sa désinvolture capable de
tout envoyer au diable me le rappelait furieusement. Aussi, contrairement à ma
façon habituelle de procéder lors d’une nouvelle rencontre, je l’amenai chez
moi le jour même, et lui accordai plus de cajoleries qu’à n’importe lequel de
mes amants lors de notre première entrevue à l’horizontale.
Puisque nous y sommes, autant avouer qu’il me gratifia de ce
côté-là d’un plaisir assez supérieur à celui que je ressentais normalement au
cours de mes « rencontres bibliques ». C’est que sa ressemblance avec
Théodoric était telle que même les yeux ouverts, je pouvais imaginer qu’il
l’était vraiment. Et puis il y eut une autre raison, encore plus réelle sans
doute. Je m’étais toujours représenté la virilité de Théodoric comme devant
être d’une admirable robustesse. Or celle de Widamer fut loin de me décevoir
sur ce plan, d’autant qu’il sut en faire un usage digne d’éloges.
Je me délectai si longtemps de cette merveilleuse extase que
lorsque Widamer et moi conclûmes finalement notre étreinte, je décidai de lui
offrir la récompense qu’il méritait, et changeant de position dans le lit, me
mis en devoir de lui prodiguer une attention plus intime encore. Cela dit, en
me penchant sur son fascinum, je le vis flamboyer d’une étrange couleur
marron. Je reculai et m’exclamai :
— Liufs Guth ! Mais vous êtes malade ?
— Ne, ne, fit-il en riant. Ce n’est qu’une tache
de naissance, rien de plus. Goûte, tu verras bien !
Et c’est ce que je fis. Il avait bien dit la vérité.
En fin d’après-midi, je conviai Widamer à prendre congé, car
je devais m’habiller pour une autre invitation à laquelle je devais me rendre
dans la soirée. Nous nous séparâmes donc, échangeant de fervents remerciements
mutuels, des compliments appuyés
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