Théodoric le Grand
assez éloignée au nord de l’Océan Sarmate. La
similarité des noms ne peut être fortuite. Mais cette île pourrait être aussi
fantaisiste que les autres auxquelles ils font référence, comme Avalonnis ou
l’Ultima Thulé. Même si Scandia existe, elle reste terra incognita.
— Du moins jusqu’à ce que tu la découvres,
Thorn, terra nondum cognita, précisa Théodoric. Je tiens aussi à te
mettre en garde, au cas où cette vague et vieille piste te conduirait ne
serait-ce que sur la Côte de l’Ambre : tu dois te méfier par là-bas. C’est
la terre natale des Ruges, et Strabo essaie de les pousser à le rejoindre pour
entrer en guerre contre nous.
— J’ai cru comprendre, fis-je observer, que l’opulence
de ces Ruges tient, pour une bonne part, à la vente de l’ambre qu’ils récoltent
sur place. Pourquoi se sentiraient-ils soudainement si malheureux qu’ils soient
prêts à abandonner le négoce pour partir en guerre ?
— Akh, les marchands d’ambre, certes, sont
fortunés. Mais les pauvres diables qui récoltent la substance n’en tirent
quasiment aucun bénéfice, et en sont réduits pour survivre à cultiver le sol et
pratiquer l’élevage, sur une terre désespérément infertile. Aussi, comme
n’importe quelle plèbe exploitée, ils se sentent appauvris, mécontents de leur
sort, et prêts à se révolter à la première occasion qui se présente.
Soas reprit :
— Nos ancêtres goths, depuis leur débarquement initial
sur le continent européen, semblent déjà s’être ramifiés entre les Balthes,
devenus plus tard les Wisigoths, les Amales, de qui descendent les Ostrogoths,
et les Gépides, qu’on n’a jamais connus que sous ce nom. Et ce nom pourrait
dériver de notre mot gepanta, qui signifie lent, engourdi et apathique,
bien que pour ma part, je ne les ai jamais trouvés plus mous que les autres.
Théodoric sourit et dit :
— Peut-être trouveras-tu également, Thorn, une
explication plausible à ce curieux nom, au cours de ta quête historique ?
— J’ajoute, continua Soas, qu’il semble qu’un groupe de
personnes ait faussé compagnie aux Goths en cours de route. Selon les chants
antiques, tout du moins. Un groupe de femmes se serait volontairement isolé,
pendant que leurs hommes se trouvaient en guerre quelque part. Après une
manœuvre de contournement, leurs ennemis se seraient attaqués à ces femmes sans
défense. Elles les auraient repoussés par leurs propres moyens, anéantissant si
efficacement leurs assaillants qu’elles auraient décidé dans la foulée de se
passer d’hommes à jamais. Elles se choisirent une reine, partirent de leur
côté, et s’étant installées quelque part en Sarmatie, donnèrent naissance,
dit-on, à la légende des Amazones.
— C’est peu probable, intervint Théodoric. Si c’était
le cas, alors cela voudrait dire que notre histoire, à nous les Goths,
remonterait à la plus haute Antiquité, avant même les Grecs, les premiers qui
ont écrit sur les Amazones, il y a neuf cents ans de cela.
— J’ajoute d’ailleurs, fit Soas d’un ton
pince-sans-rire, qu’aucun de nos saggw fram aldrs n’explique comment les
Amazones ont pu se reproduire sans l’aide d’aucun homme parmi elles.
— J’ai entendu pour ma part un autre récit faisant
référence à des femmes gothes, fis-je. L’histoire racontait comment des chefs
goths avaient expulsé un certain nombre d’odieuses haliuruns femelles.
Et ces sorcières s’étaient débrouillées pour se reproduire. Au cours de leurs
errances dans les solitudes, elles s’étaient accouplées avec des démons skohls, et avaient eu pour progéniture les terribles Huns. Pensez-vous que ces deux
histoires ont pu interférer ?
— C’est justement ce que tu vas devoir débrouiller pour
nous le dire, fit Théodoric, me frappant amicalement dans le dos. Par le
marteau de Thor, ça me plairait bien de t’accompagner ! Imagine ça !
Embrasser de nouveaux horizons, résoudre tant d’énigmes…
— Cette quête me paraît un sacré défi, remarquai-je. Il
n’empêche, je préférerais ne pas être trop loin lorsque tu devras affronter
Strabo et ses alliés.
D’un ton léger, il répliqua :
— Si les Ruges descendent vers le sud pour rejoindre
Strabo, tu en seras informé avant nous. Tu pourrais dans ce cas descendre avec
eux ou les suivre de près, afin d’en tirer quelque avantage. Cela ne me
déplairait pas du tout d’avoir un Parménion [24]
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