Théodoric le Grand
pas ? Vous y découvrirez les restes éparpillés des Goths.
Peut-être se trouvera-t-il un ou deux autres vieillards pour se rappeler les
histoires contées naguère par leurs pères, et les pères de leurs pères.
Laissez-moi vous confier à la garde d’un guide sûr, Saio Thorn.
S’étant retourné, il héla un personnage occupé dans les sombres
profondeurs de son entrepôt.
— Lombric ! Viens là…
— Lombric ? fis-je en écho, amusé.
— Il se nomme en réalité Maghib. C’est lui que j’envoie
chercher ma matière première, et il n’a pas son pareil pour me trouver la vase
la plus gluante, celle qui exhale la puanteur la plus écœurante. Il fait
remonter la boue… (il eut un haussement d’épaules)… d’où son surnom.
L’homme était un petit Arménien au teint huileux, vaguement
couleur de boue lui-même, et il rampa vers nous tel un ver de terre pour
répondre, avec un lourd accent goth : « À vos ordres, fráuja. »
Il demeura ramassé dans une position servile, tandis que le
Boueux lui baragouinait quelque chose dans son langage. Lombric se mit alors à
déblatérer lui aussi avec une certaine volubilité.
— C’est réglé, fit Meirus. Dès que vous serez prêt à
partir en excursion dans les terres avoisinantes, venez ici chercher Lombric,
il est disposé à vous accompagner. Il m’a assuré savoir où trouver de
vénérables Goths de toutes les origines : des Wisigoths, des Ostrogoths et
des Gépides. Certains sauront forcément des choses du passé.
— Thags izvei, fis-je à leur attention commune.
Tandis que Lombric retournait se terrer dans l’ombre de
l’entrepôt, j’ajoutai :
— En attendant, mon bon Meirus, vous qui semblez tout
savoir sur l’origine des noms, y compris la façon dont ils ont été octroyés…
savez-vous par hasard comment les Gépides en sont venus à porter le leur ?
Il eut un bon rire et déclara :
— Bien sûr !
J’attendis un instant, puis le poussai gentiment à
continuer :
— Auriez-vous l’obligeance, dans ce cas, de me
l’expliquer ?
— Akh, je pensais que vous cherchiez juste à me
mettre à l’épreuve. Vous désirez vraiment le savoir ? Eh bien, les Gépides
tiennent leur nom du mot gotique gepanta : lent, languide,
apathique.
— C’est bien l’hypothèse que j’ai entendue. Mais
pourquoi ?
Le vieux Juif enserra son ample bedon de ses mains
rondelettes.
— Au temps où j’étais ménestrel, je chantais toutes
sortes de chansons traditionnelles des Goyim, de quoi faire se retourner mes
propres ancêtres dans leur tombe. L’une d’elles contait comment les Goths
étaient descendus de leur Nord lointain jusqu’au continent d’Europe. Ils
étaient venus, à en croire les paroles, sur trois bateaux, un par tribu… ou sibja, ou peuple, suivant la façon dont ils désignaient leurs divisions à
l’époque. Mais l’un de ces bateaux resta à la traîne, et déposa ses passagers
un peu après les autres. Ensuite, lors de tous leurs déplacements ultérieurs,
ceux-ci continuèrent à s’attarder et à lambiner loin derrière leurs compagnons,
d’où leur nom… (il pouffa de nouveau)… de traînards : les Gépides.
Je partageai son hilarité.
— L’histoire est assez plausible. Je vais la noter
aussi. Je vous suis très reconnaissant. Demain, je reviendrai (je lui souris
alors) avec ma compagne sans rides, et nous prendrons le guide que vous nous
avez si généreusement proposé. Dois-je prévoir pour lui un cheval
supplémentaire ?
— Ne, ne, n’allez pas gâcher inutilement ma
marchandise. Où que je me rende, Lombric a l’habitude de trotter à côté de ma carruca. Je promets de lui augmenter sa ration d’eaux grasses de la matinée,
histoire de lui donner la force nécessaire pour bien courir. Allez, à demain.
*
Le lendemain matin, dès que le vieux Juif eut été présenté à
Swanilda, et lui eut affirmé qu’elle n’aurait jamais besoin de sa boue, il me
dit :
— Vous et moi n’arrêtons pas de parler de noms, Saio Thorn. Puis-je me permettre de vous demander si… le nom de Thor vous est
familier ?
— À qui ne le serait-il pas ? répondis-je. C’est
le dieu du Tonnerre de la Vieille Religion.
— Et… il vous arrive souvent d’être suivi par un
dieu ? J’admets qu’il n’en avait guère l’apparence, il est vrai. Mais il
en avait tout à fait l’arrogance et la rudesse de ton.
— Mais de qui parlez-vous ?
— D’un
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