Théodoric le Grand
à
Noviodunum.
Il ne se trompait pas. Nous en vîmes un le lendemain, au
moment même où nous découvrions la ville, d’assez loin. Tout était par là d’une
platitude uniforme, et les bâtiments de Noviodunum ne dépassaient pas un étage.
Du coup, les gros vaisseaux à deux mâts venus de la mer Noire, ventrus comme
des pommes, semblaient être de véritables montagnes itinérantes en train de
ramper dans le paysage, arpentant avec précaution les méandres des canaux. Leur
taille, surtout comparée à celle des frêles bateaux de pêche et autres
embarcations partageant les mêmes eaux, n’en paraissait que plus
impressionnante, et ils dominaient la ville telles de véritables tours flottantes.
Tout cela constituait un tableau si incongru qu’on se serait cru dans un rêve.
Quand notre barge atteignit la ville, le gros vaisseau
marchand avait déjà mouillé au large, et de petits esquifs allaient et venaient
comme autant de fourmis industrieuses, charriant ses marchandises. Nos
bateliers attachèrent la barge à un quai, et je leur prêtai main-forte afin
d’inciter les bêtes, à force de cajoleries, à quitter l’embarcation pour gagner
la terre ferme. Je mis alors pied à terre dans la rue bordant ce quai affairé,
et ouvris grand les yeux. De la foule des gens allant et venant, beaucoup
étaient bruns et basanés : il s’agissait de Khazars, et de leurs cousins,
les Tauris. Je notai cependant la présence d’un certain nombre de blonds au
teint clair, de toute évidence d’origine germanique. Comme on pouvait s’y
attendre dans un tel port maritime, on y trouvait toutes les nationalités de la
Terre : Romains, Grecs, Syriens, Juifs, Slovènes, Arméniens, et même,
parfois, un Noir de Nubie ou d’Éthiopie. Toutes les langues, bien sûr, se
croisaient. Certaines, clairement reconnaissables, étaient les idiomes des
peuples déjà mentionnés, mais la langue la plus employée et que l’on braillait
en général le plus fort était une sorte de sermo pelagius, ou sabir des
ports, formé d’un amalgame des mots de tous ces langages, mélange qui
permettait apparemment à tous de se comprendre au mieux.
Un dromo de la flotte mésienne ayant accosté près de
notre embarcation, je me présentai à son capitaine, qui parlait évidemment le
latin, et lui demandai s’il pouvait me recommander tel ou tel hospitium ou taberna de la ville. Tandis que Swanilda et les bateliers sellaient
nos chevaux et les chargeaient de nos bagages, je payai le propriétaire de la
barge, le remerciai de l’agréable voyage et le laissai partir le long des
quais, en quête d’un fret éventuel à remonter. Je conduisis ensuite Swanilda et
les bêtes à l’endroit qui m’avait été conseillé. Bien qu’il prétendît au titre
ronflant de pandokheíon, car tenu par des Grecs, il n’avait rien d’aussi
luxueux, et n’était pas aussi vaste, loin s’en fallait. Mais le capitaine
m’ayant affirmé qu’il ne connaissait rien de mieux à Noviodunum, j’y pris une
chambre pour Swanilda et moi, et une stalle d’écurie pour les chevaux.
L’établissement n’était évidemment pas équipé de thermes,
aussi Swanilda chargea-t-elle les domestiques de remplir d’eau chaude les
bassins de notre chambre, afin que nous puissions prendre un bain. Pendant ce
temps, je demandai au tenancier de l’hôtel si la ville hébergeait un praefectus, un kúrios, bref, un ancien de la ville, quel que fut son titre
honorifique, à qui je pourrais aller faire mes salutations de courtoisie en
tant que maréchal du roi. Le Grec prit le temps de la réflexion, puis me
répondit :
— Il n’y a pas de gouverneur officiel à proprement
parler en ville. Mais vous pouvez demander à voir Meíros le Boueux.
— Voilà un titre bien singulier, marmottai-je.
— C’est peut-être le plus vieil habitant de la ville,
et sans conteste l’un de ses plus puissants marchands, aussi lui accorde-t-on à
Noviodunum une certaine préséance. Vous le trouverez dans son entrepôt, tout
près du quai où vous avez accosté.
L’entrepôt en question n’avait rien de différent de tous
ceux que j’avais déjà visités, n’eût été l’odeur fétide émanant puissamment de
ses froides et humides profondeurs. Je m’arrêtai sur le pas de la porte donnant
sur la rue, scrutant l’intérieur de l’édifice à la recherche de la cause de
cette abominable senteur. Un homme émergea alors de l’ombre, et me salua en six
ou huit langues
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