Théodoric le Grand
avait à peine fini sa phrase que la tempête se mit à
décroître d’intensité, et que le champ de vision s’élargit autour de
nous ; tandis que nous poursuivions notre marche, les sabots de nos
chevaux crissaient parmi les galets de glace couvrant le sol et dérapaient
fréquemment. La grêle cessa bientôt complètement, et le soleil revint aussi
vite qu’il avait disparu. La lourde couche de glace fondit, les herbes abattues
s’ébrouèrent et se redressèrent jusqu’à retrouver leur sécheresse initiale et
reprendre leurs duveteuses volutes d’origine.
Peu avant le coucher du soleil, nous atteignîmes une butte
sur laquelle s’élevait une demeure élégamment bâtie. Nous gravissions la pente
qui y conduisait quand Lombric émit un appel, incitant deux des occupants à
franchir la porte amovible tressée de cuir qui en obturait l’entrée.
— Háils, Fillein uh Baúhts !
À quoi ils répondirent en saluant de la main :
— Háils, Maghib !
Comme c’est souvent le cas chez les couples âgés, il eût été
difficile de distinguer l’homme de la femme, tant étaient semblables leurs
vêtements, leur frêles silhouettes et leurs faces ridées, si le premier cité
n’avait pas porté une large barbe blanche, et la seconde une moustache
clairsemée et quelques poils fous sur le menton comme sur les joues. Swanilda
et moi descendîmes de nos chevaux, et Lombric fit les présentations :
— Voici le brave Fillein et sa non moins brave épouse
Baúhts, tous deux Ostrogoths de souche, nous dit-il.
Puis, s’étant tourné vers nos hôtes, il compléta :
— Vieilles gens, je suis fier de vous présenter le fráuja Thorn, maréchal du roi des Ostrogoths, et sa compagne, Dame Swanilda.
Au lieu de me souhaiter la bienvenue et de me saluer, le
vieux Fillein me surprit en me demandant d’un ton bourru :
— Thorn ? Comment ça, Thorn ? Ce n’est pas le
maréchal du roi, ça. Le maréchal du roi Thiudamer se nomme Soas. Je suis
peut-être vieux et faible d’esprit, mais je me souviens tout de même de ce
détail.
Je souris et répondis :
— Excusez-moi, vénérable Fillein. Soas est toujours
maréchal, c’est vrai, mais j’en suis un autre. Et le roi Thiudamer est décédé
depuis de nombreuses années. Son fils Thiuda le Jeune règne désormais à sa
place. On l’appelle Thiudareikhs, ou plus communément Théodoric. C’est lui qui
m’a élevé au rang de maréchal aux côtés de mon collègue le Saio Soas.
— Vous ne vous moqueriez pas de moi, je suppose, niu ? me dit le vieil homme, d’un ton suspicieux. C’est bien la vérité ?
— Cela me semble tout à fait possible, intervint sa
femme, d’une petite voix tout aussi chevrotante. Tu ne te souviens pas, chéri,
de la naissance de ce petit ? L’enfant de la victoire, comme nous l’avions
appelé.
Et se tournant vers moi :
— Ce Thiuda serait à présent devenu un homme, et aurait
pris le pouvoir ? Vái, comme le temps passe.
— Le temps passe en effet…, fit mélancoliquement son
mari, en écho. En ce cas, waíla-gamotjands, Saio Thorn. Notre humble
demeure est la vôtre. Mais vous devez avoir faim. Entrez, entrez.
Lombric emmena les chevaux derrière la maison pour les
nourrir, tandis que Swanilda et moi suivions nos hôtes à l’intérieur. Fillein
tisonna les braises de l’âtre pour en faire jaillir des flammes, tandis qu’à
l’aide d’un long bâton fourchu, Baúhts descendait des chevrons une pièce de
bacon. Tout en s’affairant, les deux vieillards continuaient de parler de leurs
petites voix fines :
— Bien sûr que je m’en souviens, de la naissance de ce
jeune Thiuda, marmonnait Fillein, mâchonnant d’un air méditatif ses gencives
édentées. C’était au temps où nos deux rois, Thiudamer et Walamer, se
trouvaient dans la lointaine Pannonie, luttant pour repousser les oppresseurs
Huns, et…
— Le roi Thiudamer était d’ailleurs surnommé le
Bien-Aimé, et le roi Walamer le Fidèle, l’interrompit Baúhts.
— Ja, je me souviens l’avoir entendu dire par la
princesse Amalamena, la propre fille de Thiudamer, fis-je en hochant la tête,
vibrant d’émotion à ce seul souvenir.
La passion qui perça à cet instant dans ma voix m’attira un
regard songeur de la part de Swanilda, qui aidait la vieille dame à préparer
notre repas.
Fillein reprit :
— Comme je vous le disais donc, nous eûmes un jour vent
de la victoire définitive des frères nos rois
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