Théodoric le Grand
bon Boueux, fis-je, de
toute la sincérité de mon âme. Si cela peut vous remercier de cette faveur, il
n’y aura pas besoin de fournir un cheval pour Lombric.
Je me tournai vers l’Arménien.
— Si vous souhaitez nous accompagner, la monture de
Swanilda vous attend là-bas, déjà sellée.
Il hésita un instant, nous dévisageant alternativement tous
les trois, mais son maître intervint et le pressa :
— Prends-la, Maghib. Cette bête est meilleure que
toutes celles de mon écurie.
Lombric accepta d’un geste résigné.
C’est alors que Meirus – et je trouvai le fait assez
étrange – se tourna vers Thor, et pas vers moi, pour lui demander :
— Voudriez-vous jeter un coup d’œil sur ce document, fráuja Thor ? C’est une lettre d’accréditation autorisant Maghib à me
représenter dans le commerce de l’ambre.
Devant le parchemin ainsi tendu, Thor recula d’un pas,
s’empourpra légèrement, et parut un temps déstabilisé. Mais retrouvant bien
vite l’attitude que Meirus n’avait cessé de qualifier d’arrogante, il déclara
avec hauteur :
— Je ne connais rien au commerce de l’ambre, ni à la
paperasserie. Lire ce document ne peut donc être, pour moi, qu’une corvée.
— À ce point-là ? grogna Meirus, qui me tendit
alors seulement le rouleau de parchemin. J’aurais pourtant jugé une telle
aptitude indispensable, pour un émissaire chargé par le roi Euric de rassembler
des éléments historiques.
Feignant l’indifférence à cet échange de mots, j’ouvris le
document, l’inspectai, hochai de la tête et je le glissai dans ma tunique. En
réalité, j’étais bien plus embarrassé que semblait l’être Thor. Bien que
n’ayant pas les capacités de devin du Boueux, j’aurais évidemment dû songer à
vérifier les compétences de mon « historien associé » avant de le
reconnaître comme tel. Il ne m’était pas venu à l’idée qu’une personne comme
Thor, d’une telle éloquence, puisse être illettrée. En revanche, il était
logique, après tout, qu’une cosmeta quotidiennement confrontée aux
conversations des femmes de la cour s’en imprègne et finisse par arborer un
certain vernis de raffinement et de culture. L’air de rien, je proposai
simplement à Lombric :
— Vous pourriez avoir usage de certains objets contenus
dans les bagages de Swanilda. Ses fourrures de nuit, son manteau de voyage.
Vous n’êtes guère plus gros qu’elle ne l’est… ne l’était. Et il y a aussi par
là des ustensiles de cuisine.
— Je m’excuse, fráuja, fit-il humblement. Je ne
sais pas cuisiner.
— Ah, mais voilà au moins une chose que Thor, lui, sait
faire ! m’exclamai-je.
J’insinuai ainsi pernicieusement qu’il possédait tout de
même quelques compétences, et je ne fus pas mécontent de le voir frémir
d’indignation. J’y ajoutai mon tout premier ordre en tant que chef de notre
petit groupe :
— Thor cuisinera pour nous durant cette expédition.
Je me penchai pour donner à Swanilda un dernier baiser,
m’attirant de la part de Thor un nouveau regard courroucé. Mais je me contentai
de lui embrasser la main, car le visage d’un pendu est bien trop effrayant pour
être honoré d’une telle marque d’affection. Je lui fis un adieu silencieux,
assorti d’une promesse secrète : si je survivais à ce voyage et achevais
la rédaction de cette histoire des Goths, destinée à être lue par d’autres, je
la ferais précéder d’une dédicace personnelle à Swanilda.
*
Dès que Lombric eut bouclé ses propres effets à l’arrière de
sa selle, nous quittâmes Noviodunum, chevauchant à trois de front. J’avais
résolu d’apprendre à Lombric à monter sans l’aide de la sous-ventrière, aussi
ne lui avais-je pas confié Velox. Il était déjà tard lorsque nous partîmes, et
nous n’allions passer qu’une demi-journée en selle ; il aurait donc tout
loisir, durant la nuit, de récupérer de son échauffement de la journée, et serait
apte à remonter en selle sans problème le lendemain.
J’avais déjà suffisamment vu les monotones étendues
herbeuses du delta, et je fus donc heureux de constater que Lombric n’avait pas
choisi de nous diriger directement vers le nord. Nous remontâmes le cours du
Danuvius, revenant vers l’ouest. Dans deux jours environ, aux dires de Lombric,
nous parviendrions au confluent d’une rivière, le Pyretus [38] , qui venait
s’y jeter du nord, et que nous remonterions
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