Théodoric le Grand
sangloter.
— Ce n’était pas le cas, n’est-ce pas ?
L’idée que Thor et moi puissions passer pour de méprisables concacati était loin de m’enchanter, mais c’était à tout prendre préférable que d’être
reconnus, et peut-être publiquement dénoncés pour ce que nous étions vraiment.
— Je suis désolé que tu l’aies découvert, Swanilda. Du moins,
que tu m’aies surpris dans une position aussi ambiguë. Mais il y a peut-être
des choses que tu ignores. Et si tu les savais, tu me jugerais moins
sévèrement.
— Je ne te condamne nullement, répondit-elle, et elle
semblait sincère. Je te laisserai à tes… tes préférences. Mais toi, je ne
t’abandonnerai jamais. Poursuivons notre mission.
— Ne, Swanilda. Il n’en est pas question.
Elle me regarda, incrédule.
— Tu veux laisser tomber ta quête ?
— Ne, je me passerai simplement de ta compagnie.
Je désire que tu retournes à Novae.
Désormais, c’était de la détresse qui émanait d’elle.
— Akh, Thorn, quand je t’ai promis que tu
pourrais me dire « Swanilda, assez », je t’ai dit aussi que je
redeviendrais alors ton humble servante. S’il te plaît… laisse-moi au moins
cette chance.
Je secouai la tête.
— Ce serait intolérable pour toi, pour moi, pour tout
le monde. Il vaut mieux que tu t’en rendes compte, et le plus tôt sera le
mieux.
Elle semblait à présent véritablement dévastée.
— S’il te plaît, Thorn !
— Swanilda, je n’accorde que peu de crédit aux diseurs
de bonne aventure, mais il arrive parfois, sur le nombre, que l’un d’entre eux
s’avère digne de foi. Hier soir, Meirus a annoncé qu’aujourd’hui, tu cesserais
de me chérir. Je suggère de te conformer à cette prédiction.
— Je ne peux pas !
— Mais tu dois malgré tout. Je ferai en sorte de
faciliter notre séparation, mais elle est inéluctable. Maintenant viens,
marchons ensemble jusqu’à la maison du vieux Juif. J’ai l’esprit embrumé par le
manque de sommeil. Je vais lui demander de me donner un peu de vin et de quoi
manger.
Meirus m’accueillit d’un simple grognement, et s’il daigna
ordonner à un serviteur de m’apporter le repas que je réclamais, ce fut avec
une mauvaise grâce évidente. Ce faisant, il promenait sans arrêt son regard
renfrogné, de Swanilda à moi. Elle m’avait accompagné en silence, mais d’une
démarche traînante, et toute son attitude exprimait le malheur. Pourtant, elle
ne confia rien au Boueux de ce qu’elle avait découvert au pandokheíon, se
contentant de lui dire qu’elle allait reprendre son cheval et récupérer les
bagages qu’elle avait laissés. Il m’appartenait d’annoncer à Meirus que je
renvoyais Swanilda à Novae afin, lui expliquai-je, d’éviter que notre relation
ne devînt embarrassante. Ce prétexte ne fit qu’assombrir encore l’œil du vieux
Juif, aussi tentai-je de l’illuminer un peu en lui annonçant :
— Mon associé Thor et moi avons abordé le cas de votre
prospecteur. D’un commun accord, nous avons décidé que nous l’autoriserions à
se joindre à nous. Nous ferons tout ce qui sera en notre pouvoir pour qu’il
parvienne sain et sauf sur la Côte de l’Ambre.
— Thags izei à vous deux, grommela Meirus d’un
ton amer.
Je continuai à manger et à boire tranquillement, jusqu’à ce
qu’il se détende un peu et reprenne :
— Thags izvis, Saio Thorn. J’escompte bien tirer
grand profit de cette entreprise, et je suis sûr que Maghib sera heureux de
découvrir de nouveaux horizons. J’espère simplement que lui et votre nouvel ami
Thor se montreront à la hauteur, autant que possible, de ce qu’a représenté
pour vous la jeune Swanilda.
Cette remarque n’attira de ma part aucun commentaire, et je
me levai de table.
— Allons annoncer à Lombric qu’il peut se préparer pour
le voyage. J’aimerais également voir le cheval que vous lui avez promis.
— Maghib est déjà dans l’entrepôt, il vous attend. Je
vais demander à mon valet d’écurie d’amener plusieurs chevaux, afin que vous
puissiez choisir en accord avec lui.
— Bien, fis-je. Thor nous rejoindra ici aussi. Vous
aurez donc l’occasion de le revoir.
— Biy yom sameakh.
— Comment ?
— J’ai dit : « ô jour béni »,
grogna-t-il.
Et il s’éclipsa par une porte du fond, tandis que je sortais
par devant.
Lombric se tenait devant la porte de l’entrepôt, semblant
m’attendre avec la
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