Thorn le prédateur
équilibrée. Je savais que Gudinand n’avait pas eu d’ami avec lequel
disputer de faux combats au bâton, mais nul doute qu’il avait dû livrer seul
quelques combats imaginaires. Jaerius, de son côté, avait sans doute eu de
multiples occasions d’affronter des adversaires, mais sachant qui il était,
ceux-ci avaient dû réfréner leurs coups et le laisser gagner aisément.
Finalement, compte tenu du fait qu’aucun des deux combattants n’avait jamais eu
à affronter un adversaire réellement expérimenté, un professionnel du fustis, ils donnaient maintenant un spectacle plus qu’estimable de tournoiements,
d’esquives, de parades et d’assauts, et les spectateurs n’eurent vraiment pas à
se plaindre d’avoir investi de l’argent dans un affrontement de novices
empotés.
Exaspéré, je revins à la charge auprès de Wyrd :
— Mais enfin, vous ne pouvez ainsi me confisquer mon
pari ! C’est tout de même moi qui ai envoyé Jaerius dans cette arène pour
qu’il se fasse battre comme plâtre. Ce serait folie de ma part, même en me
faisant forcer la main, de parier contre l’homme que j’ai choisi pour défenseur
et pour champion. J’insiste pour que…
— Balgs-daddja, fit calmement Wyrd. J’avais
raison de soutenir Gudinand et je refuse de rétracter mon pari. Regarde comme
Jaerius est déjà en train de subir, de tressaillir et de battre en retraite.
Les adversaires avaient engagé le combat en essayant
d’emblée tous les coups et mouvements possibles au fustis, offensifs et
défensifs, afin de jauger le courage, la dextérité, les points forts et points
faibles de leur vis-à-vis. Parmi les mouvements de défense figurent bien sûr la
rapide et ferme parade avec le bâton lui-même, mais il existe aussi quantité
d’autres moyens, tels que l’esquive sur le côté, l’inclinaison du tronc vers le
bas, ou même, lorsque l’adversaire balaie l’air d’un violent mouvement tournant
de la longueur de son bâton, le vif bond en hauteur, opéré avec la prestesse de
l’acrobate. À la base, les principaux mouvements offensifs du combattant au
bâton sont le crochet et l’attaque en pointe, mais tous deux peuvent bien sûr
être pratiqués de multiples façons, une feinte de crochet pouvant par exemple
se résoudre en poussée de l’avant.
Après avoir un moment asséné l’un et l’autre tous les coups
possibles, dont certains étaient assez puissants et sonores pour arracher aux
spectateurs des grognements de sympathie, et chacun ayant, avec plus ou moins
de succès, opéré toutes les défenses imaginables, les deux adversaires
connaissaient maintenant leurs points faibles, et avaient décidé de se
concentrer sur ceux-ci.
Jaerius, manquant de longueur de bras, avait peu recours à
l’attaque en pointe et faisait confiance à ses crochets latéraux, et la plupart
de ses moulinets visaient Gudinand à la tête. Je pense que la phrase de sa mère
parlant de Gudinand comme d’une vermine « sans cervelle » avait dû le
marquer, et il espérait visiblement étourdir ou assommer le jeune homme d’un
habile coup oblique.
Gudinand, pour sa part, avait rapidement compris qu’il
parviendrait difficilement à déséquilibrer ou même à renverser le corps trapu
et ramassé de Jaerius par des frappes latérales de son gourdin. Il misa donc
tout sur son allonge supérieure, dans les poussées de face. Il visait
alternativement Jaerius à l’estomac, tentant de l’éperonner par l’avant, et aux
mains, cherchant à leur faire perdre la prise qu’il pouvait avoir sur son fustis.
Gudinand, plus mince et plus léger, parvenait à éviter ou à
parer la plupart des crochets de Jaerius à sa tête. Jaerius, en revanche, plus
lourd et moins agile, avait du mal à esquiver les poussées de son adversaire.
Quelques coups à l’estomac portèrent à plein, arrachant a chaque fois à Jaerius
un cri audible, le forçant à tituber de quelques pas vers l’arrière, le temps
de reprendre son souffle. On entendit aussi distinctement plusieurs coups de
Gudinand faire craquer les doigts de Jaerius sur sa perche, et il en vint
presque, l’espace d’un instant, à la laisser échapper d’une main. Dès cet
instant, Jaerius cessa toute attaque, se contentant de résister aux tentatives
de son adversaire pour lui faire lâcher prise. Il semblait avoir abandonné tout
espoir de victoire et se limiter à repousser la défaite. Gudinand pressa son
avantage, forçant Jaerius à reculer
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