Thorn le prédateur
jusqu’à ce que tous les deux se retrouvent
juste sous le podium central.
— Regarde-moi ça ! répéta Wyrd. Ce gros lourdaud
est en train de nous suer toute sa graisse.
C’était bien le cas. À l’endroit où résistait Jaerius, mais
chancelant, tremblant et arc-bouté sur ses pieds pour tenter de garder
l’équilibre face à l’implacable volée de coups que lui infligeait Gudinand, une
large tache était en train de s’élargir sur le sable, et je ne crois pas qu’il
s’agissait uniquement de sueur et de graisse. Jaerius lançait des coups d’œil
désespérés de droite et de gauche, comme à la recherche d’un abri où se
réfugier… ou d’une aide qui aurait pu survenir du podium, où étaient assis son
père et sa mère. Le visage du dux avait conservé une expression imperturbable,
quant à celui de Robeya… dame, si elle avait été un véritable dragon, nul doute
qu’elle aurait sauté dans l’arène aux côtés de son fils, et craché des flammes
sur Gudinand.
Wyrd remarqua d’un ton satisfait :
— Le brutal fanfaron s’avère souvent n’être qu’un
pleutre, et celui-ci est en train d’en apporter l’éclatante preuve en public.
Tu vois, gamin, tu n’auras pas à te plaindre de me verser ta part de pari, même
si elle est énorme, car ton ami t’aura donné le plaisir de le voir l’emporter.
Mais tout d’un coup, Gudinand cessa de faire pleuvoir cette
grêle de coups sur Jaerius et recula de quelques pas. Les spectateurs pensèrent
sans doute qu’il accordait simplement à son vaincu la clémence : celle de
ne pas le mettre à mort sur-le-champ, de ne pas lui rompre les os au point de
le laisser à jamais infirme, éviter même de frapper jusqu’à ce qu’il gise au
sol, contraint de lever le pouce dans une humiliante supplique, implorant son
vainqueur de lui laisser la vie sauve. Mais je sus très vite que ce n’était pas
ce désir de clémence qui paralysait ainsi Gudinand. Il avait cessé de regarder
Jaerius ; ses yeux s’étaient levés lentement vers le ciel de l’arène, plus
haut que les derniers gradins, et se promenaient sur le ciel du matin, comme
s’il venait d’y voir passer un étrange oiseau vert, ou d’entendre hululer une
chouette en plein jour.
Malgré toutes les meurtrissures subies au cours du combat,
Gudinand n’avait montré aucun signe de son affliction. Mais j’avais depuis longtemps
remarqué que celle-ci, loin de survenir dans les plus durs moments de tension,
le cueillait au contraire lorsqu’il se sentait heureux, et au mieux de sa forme
morale. Ce qui fut le cas, au moment où il se trouva sur le point de connaître
le sommet de son existence, celui qui l’aurait transformé en héros de la ville,
lui, le misérable proscrit méprisé de tous.
Le fustis lui glissa simplement des mains, et je pus
voir pourquoi : ses pouces venaient de se recourber, crispés contre ses
paumes, et ses mains ne lui servaient désormais plus à rien. Jaerius restait
debout sur place, sonné, vacillant doucement sur ses pieds, aussi engourdi dans
son ahurissement que l’était son adversaire. Tous les spectateurs de
l’amphithéâtre étaient figés de la même stupéfaction, absolument sans voix.
Alors, comme si un coup mortel l’avait déjà frappé, Gudinand poussa son
hurlement, ce cri que j’avais déjà entendu, et son vibrato à donner le frisson
déchira le silence des respirations suspendues. Une autre voix murmurait aussi,
si ténue que seul Jaerius fut en mesure de l’entendre. Sa mère, penchée loin en
avant sur la balustrade du podium, lui soufflait quelques mots à voix basse.
Jusqu’à cette intervention, Jaerius était demeuré debout,
perplexe et abasourdi, saignant à la fois du nez et de sa main droite presque
écrasée, de toute évidence incertain de la conduite à tenir… quand Robeya avait
parlé. Et soudain, alors que Gudinand, la tête penchée en arrière, était encore
en train de pousser ce cri inhumain, Jaerius frappa de toute sa force. Le
gourdin cueillit Gudinand en pleine gorge, taillant net son pitoyable
glapissement, et il tomba en arrière, aussi droit qu’un tronc abattu.
Le coup ne l’avait peut-être pas grièvement blessé ; il
aurait pu se relever pour combattre ; mais la crise l’avait saisi. Il
gisait sur le dos, rigide, seules ses extrémités étaient agitées d’un
frémissement convulsif, et Jaerius le rouait sur tout le corps de coups vicieux
assénés de haut en bas. Gudinand
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