Thorn le prédateur
ville et de ses environs se soit rassemblée aux grilles,
hurlant à qui obtiendrait les tessons de terre cuite permettant d’accéder au
spectacle.
Longtemps, l’Église avait regardé d’un mauvais œil les
affrontements de gladiateurs, et la majeure partie des empereurs chrétiens les
avaient du reste interdits. Peut-être certains combats de ce style avaient-ils
eu lieu de façon privée dans les provinces les plus éloignées, mais ils avaient
disparu de Rome depuis cinquante ans au moins avant ma naissance. Pour ce duel,
on n’aurait bien sûr pas recours au glaive court, ni à aucune des armes
traditionnelles que sont le trident, la masse ou le filet lancé, mais seulement
au fustis, le bâton. Cela n’en promettait pas moins d’être un combat
sanglant, ce qui, pour la foule de l’amphithéâtre, était un événement sans
précédent.
On n’y trouvait pas que les simples pêcheurs, artisans,
campagnards et autres roturiers habitués à fréquenter les jeux et sports de
l’arène. Cette fois, même les marchands, les négociants et tenanciers
d’échoppes (lesquels eussent naguère rechigné à fermer marchés et entrepôts,
même pour pleurer la mort d’un empereur populaire) semblaient avoir fermé les
volets de leurs établissements, ou les avoir abandonnés à la charge de clercs
ou d’esclaves subalternes, afin de ne rien rater de ce spectacle. Les visiteurs
de passage n’auraient quant à eux pour rien au monde manqué d’être là, du moins
tous ceux qui avaient entendu parler de cette unique occasion de se distraire.
Longtemps avant le début des hostilités, je suis sûr que la
moindre place de chaque cuneus [70] et chaque maenianum [71] était prise. Comme c’est l’usage, les gens de peu occupaient le tiers supérieur
des gradins, mais Wyrd avait payé au prix fort des tessons donnant accès aux
sièges numérotés du second tiers, accessibles en principe uniquement aux nobles
ou aux puissants. Le tiers du bas, au niveau des arènes, était réservé aux
officiels de haut rang et autres dignitaires, le podium central revenant au dux Latobrigex, à sa femme Robeya et au Père Tiburce, tous somptueusement vêtus
comme pour un jour de fête. Le dux était aussi inexpressif que la
veille, mais sa femme bouillait littéralement de fureur, et le prêtre semblait
aussi suave et mielleux que s’il s’apprêtait à regarder une troupe rejouer
pieusement le spectacle de la Passion.
Je me tournai vers Wyrd et dis :
— Je suis prêt à parier toute ma part de l’argent que
nous avons gagné tous les deux et sagement mis de côté, fráuja, que
Gudinand va l’emporter ce matin.
Il se contenta de glousser.
— Par Laverna, déesse des voleurs, des traîtres et des
fugitifs, tu voudrais que je soutienne ce porc de Jaerius ?
Grotesque ! Mais, akh, je n’ai jamais su résister au plaisir de
parier quelque chose dans une arène. Je vais donc engager ma moitié de gains
contre la tienne, et la placer tout entière sur Gudinand.
— Quoi ? Mais c’est grotesque. Je serais
déloyalement…
Mais je fus interrompu au milieu de ma remontrance par un
strident coup de trompette venu d’en bas, et le murmure grondant de toute une
foule impatiente. Jaerius et Gudinand venaient d’émerger de grilles situées
l’une en face de l’autre, de chaque côté du périmètre de l’arène.
Chacun des garçons était armé d’un solide fustis en
bois de frêne, plus long que leur propre taille et épais comme le poignet. Tous
deux étaient vêtus d’un pagne, et le reste de leur corps luisait d’huile, dont
on les avait enduits pour que les coups puissent glisser sur la peau. Ils
s’approchèrent du centre de l’arène, puis se tournèrent, marchèrent de front
vers le podium, et levèrent leurs bâtons en guise de salut au dux. Impartialement,
ce dernier leva à son tour son poing, dans lequel il tenait un tissu blanc,
devant chacun des combattants. Sur quoi la trompette retentit de nouveau, et le dux laissa tomber le tissu. Instantanément, Jaerius et Gudinand se
tournèrent l’un vers l’autre et se mirent en position de combat, attrapant
fermement le bâton d’une main en son centre, l’autre étant calée à mi-distance
entre ce centre et l’extrémité. Les deux jeunes hommes étaient prêts pour le
combat. Gudinand, plus grand, disposait d’une meilleure allonge, mais Jaerius,
plus épais, avait une meilleure réserve de muscles. Leur adresse au bâton
semblait
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