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Thorn le prédateur

Thorn le prédateur

Titel: Thorn le prédateur Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Gary Jennings
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possédait ce que
beaucoup d’hommes d’Église n’ont pas : un profond attachement pour la
sainteté des livres. C’est pour cette raison qu’il avait laissé subsister ces
différents ouvrages traitant des Wisigoths et des Ostrogoths dans le scriptorium de Saint-Damien. Durant les années où il avait été enseignant au séminaire, Dom
Clément avait acquis une considérable bibliothèque personnelle, et il avait
apporté avec lui à l’abbaye un plein chariot de codices et de parchemins
manuscrits. Il n’avait ensuite cessé d’accumuler pour nous de plus en plus
d’ouvrages, jusqu’à constituer une bibliothèque qui eût fait l’envie d’un riche
collectionneur.
    Bien entendu, l’instruction religieuse et l’éducation séculière
d’un postulant tel que moi auraient dû se cantonner à l’étude d’œuvres pieuses
auxquelles notre Mère l’Église n’aurait rien trouvé à redire. Mais comme Dom
Clément ne m’avait jamais interdit d’ouvrir un livre trouvé dans le scriptorium ,
je ne me fis pas faute, à côté d’ouvrages en latin des Pères de l’Église –
Salluste pour l’histoire, Cicéron pour l’art oratoire, Lucain pour la
rhétorique –, d’en lire d’autres qu’elle désapprouvait formellement.
Ainsi, en sus des comédies de Térence, agréées pour leur capacité à
« élever l’esprit », je lus celles de Plaute et les satires de Perse,
jugées trop « misanthropes ».
    Ma curiosité vorace eut pour effet de me garnir l’esprit
d’un mélange confus de croyances et de philosophies contradictoires. Je lus
même des œuvres qui non seulement réfutaient les cartes de Sénèque et de
Strabon, pourtant validées par l’Église, mais allaient jusqu’à défier
l’évidence de nos sens. Ces livres niaient que la Terre, conformément au
témoignage de tous les voyageurs l’ayant parcourue, fût une étendue de terres
et de mers illimitée à l’est comme à l’ouest, bordée au nord par les glaces
éternelles et au sud par des zones surchauffées. Ils la décrivaient comme une
boule ronde, de telle sorte qu’un voyageur qui eût progressé vers l’Est plus
loin que quiconque ne l’avait jamais fait eût fini par rentrer chez lui en y
arrivant par l’Ouest.
    Théorie plus stupéfiante encore, certains de ces écrits
prétendaient que notre Terre n’était pas située au centre de la Création, avec
un soleil passant au-dessus et en dessous pour nous procurer le jour et la
nuit. Le philosophe Philolaos de Crotone affirmait par exemple solennellement,
près de quatre cents ans avant Jésus-Christ, que le soleil est une étoile fixe, tandis que la sphère appelée Terre tourne à la fois sur elle-même et autour du soleil en une année. Et Manilius, un contemporain du Christ, avançait quant
à lui que la Terre est ronde tel un œuf de tortue, vu l’ombre qu’elle projette
sur le disque lunaire durant les éclipses, et la progressive disparition de la
coque et des mâts d’un bateau sur l’horizon, à mesure qu’il s’éloigne.
    N’ayant alors jamais vu d’éclipse ni de port, pas plus qu’un
navire ou la mer, j’interrogeai l’un de mes tuteurs, Frère Hilarion, sur ces
phénomènes ; étaient-ils bien réels, et cela prouvait-il que la Terre
était une sphère ?
    «  Gerrae ! » me grogna-t-il en latin,
avant de répéter dans la Vieille Langue : «  Balgs-daddja ! » ,
qui signifie plus ou moins : « Sornettes ! »
    — Ainsi vous avez déjà observé une éclipse, mon frère ?
demandai-je. Et un bateau s’éloignant d’un port ?
    — Je n’ai nul besoin de voir des choses
pareilles ! rétorqua-t-il. La simple idée d’une Terre ronde contredit la
Sainte Écriture, cela me suffit amplement. Imaginer une Terre différente de ce
que nous voyons et savons est une idée païenne. Rappelle-toi bien, Thorn, que
ces notions ont été avancées par les Anciens, lesquels étaient loin de posséder
l’éducation et la sagesse que nous autres chrétiens détenons aujourd’hui. Je
pourrais aussi te faire remarquer que si un quelconque philosophe, en notre
siècle éclairé, osait émettre de telles théories, il se verrait aussitôt accusé
d’hérésie.
    Et de conclure, frappé d’une crainte révérencielle :
    — Ainsi que toute personne prêtant foi à ce type de
croyances.
    Avant même que je n’aie dû quitter Saint-Damien, j’avais
l’impression d’être aussi bardé d’érudition que n’importe quel noble âgé

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