Thorn le prédateur
d’une petite voix, car l’âcre infusion
d’euphorbe me faisait plisser la bouche de dégoût :
— Parcours-tu ces forêts juste pour secourir les
infortunés vagabonds ?
— Où que ce soit, je porterais secours à quelqu’un qui
se fait mordre par une vipère. Mais vu ton équipement romain, je ne pense pas
que tu sois un paysan errant. Aurais-tu déserté de quelque escadron de
cavalerie ?
— Ne, ni allis ! jurai-je indigné, mais je
me mis aussitôt à rire. En fait, je me disais la même chose de toi.
Il rit à son tour, et secoua la tête.
— Parle d’abord, Thorn. Tant que tu peux encore le
faire distinctement.
Il pouvait fort bien, me dis-je, être un espion ou un speculator à la solde de l’un ou l’autre des prétendants à la domination de la Pannonie,
mais il pouvait difficilement me rafistoler pour ensuite me couper les mains.
Je lui avouai donc franchement comment j’avais, il y a quelque temps de cela,
servi en mission contre les Huns auprès de la Légion Claudia, et comment l’on
m’avait récompensé de mon Velox, de diverses armes et autres objets. Je lui dis
aussi d’un ton sans doute un peu condescendant, que j’avais acquis une
respectable fortune dans le commerce des fourrures, que je voyageais à présent
pour mon plaisir, et je conclus par ces mots :
— Je serai bien sûr heureux de te rétribuer pour tes
soins, Thiuda, tout comme j’aurais payé un médecin professionnel.
— Akh, regardez-moi ce gros richard, n’est-il
pas charitable ?
Il me lança un regard dur, et poursuivit d’un ton
hautain :
— Écoute-moi, jeune malappris. Je suis un Ostrogoth. Je
ne demande pas plus à être rétribué ou remercié pour mes bonnes actions qu’à ce
qu’on m’envoie balader pour mes mauvaises.
Contrit, je repris :
— C’est maintenant à moi d’implorer ta compréhension. J’admets
que cette suggestion de ma part était complètement déplacée. J’aurais
d’ailleurs dû l’anticiper, étant moi-même de descendance gothe.
Mais je ne pus m’empêcher d’ajouter :
— Pourtant, j’ai déjà entendu parler d’autres Goths, et
ton accent ne cadre pas avec le leur.
Il rit de nouveau :
— Naí… je veux dire ja. Tu as raison. Il
faudrait que j’essaie de me débarrasser de cet accent grec. J’ai vécu trop
longtemps en Orient, et ne suis rentré dans ma patrie que très récemment. Trop
tard, hélas.
— Je ne comprends pas.
— Je suis revenu en hâte prêter main forte à mon peuple
en guerre contre les répugnants Scires. Mais la bataille s’est achevée avant
que je puisse leur apporter mon aide. Elle s’est tenue sur la rivière Bolia, un
affluent du Danuvius, et je ne l’ai su que trop tard.
Il semblait déprimé, aussi compatis-je avec chaleur :
— Je suis désolé que ton peuple ait été vaincu.
— Oukh… je veux dire ne ! Les miens
n’ont pas perdu ! Comment oses-tu croire le contraire ? me tança-t-il
sévèrement.
Mais il éclata aussitôt de rire, une fois encore. C’était à
l’évidence un garçon de nature joyeuse, du moins tant que je ne le provoquais
pas stupidement avec morgue.
— C’est juste parce que mon peuple n’a pas eu besoin de moi , que je suis marri. Ja, ils ont proprement écrabouillé les
Scires. Ils en ont massacré bon nombre, et les autres ont piteusement pris la
fuite vers l’ouest.
— Je crois avoir vu quelques-uns de ceux qui battaient
en retraite.
— Il ne devait pas y en avoir beaucoup, nota Thiuda
d’un air satisfait.
Et il ajouta fièrement :
— J’ai entendu dire que mon père avait tué de sa main
leur méprisable roi Edica.
— Je suis heureux d’apprendre que quelqu’un s’en est
chargé, fis-je, me remémorant « Moignon » et ses compagnons.
— Akh, il reste bien les Sarmates du roi Babai à
combattre, j’aurai donc encore l’occasion d’ensanglanter mon épée. Mais nul
doute qu’après la raclée que viennent de prendre leurs alliés les Scires, ils
vont aller prudemment se cacher. J’ai donc décidé de mettre à profit ce répit
pour visiter Vindobona. Je suis né pas loin, et n’étais pas revenu dans ma
région natale depuis longtemps.
— C’est vrai ? Figure-toi que je vais aussi…,
commençai-je, mais je fus interrompu par un soudain vertige. Je veux dire… que
j’irai… dès que je me sentirai mieux…
Et je ne pus rien dire de plus, car j’eus alors une remontée
de bile.
— Vas-y, penche-toi
Weitere Kostenlose Bücher