Thorn le prédateur
vous avez subies ?
— Il y a environ trente mois de cela, répondit le
ramasseur de bois, la ligne d’affrontement s’est trouvée ballottée dans les
environs immédiats de notre localité. Nous pensions pour notre part nous
trouver du côté est de cette ligne, et en toute innocence, nous fournissions la
provende nécessaire aux chevaux et aux hommes des Ostrogoths de Théodemir. Ce
fut là notre erreur, car peu après, une offensive des Scires d’Edica repoussa
largement ces derniers vers l’Orient, et l’on nous accusa d’avoir collaboré
avec l’ennemi. C’est Edica qui décida de la punition : l’amputation de nos
mains coupables. Les enfants que vous voyez là sont nés depuis. Nous craignons
fort pour eux, et espérons qu’Edica ne reviendra pas avant qu’ils soient
devenus adultes. À présent, étranger, que pouvons-nous vous offrir pour vous
remercier de votre aide pour le bois ? Un repas ? Une paillasse pour
la nuit ?
Je déclinai l’offre, et je crois bien que c’est la part
féminine de mon âme qui m’y inclina. J’imaginais les difficultés que devaient
rencontrer les femmes de ce hameau simplement pour préparer un repas. Et je
ressentais une telle compassion à l’égard de ces malheureux estropiés que je
n’avais nulle envie de passer davantage de temps parmi eux. Aussi demandai-je
simplement dans quelle direction et à quelle distance se trouvait la cité de
Vindobona.
— Je n’y suis jamais allé, répliqua le vieil homme.
Mais je sais qu’une très bonne voie romaine s’ouvre vers l’est. Elle mène au
nord, jusqu’au Danuvius et à la ville en question. La route se trouve à
vingt-cinq milles romains [90] . Il y a sans doute, de là-bas, à
peu près la même distance pour se rendre à Vindobona.
Je calculai que cela représentait une journée de cheval pour
atteindre la route, deux si je prenais mon temps. Deux jours de plus, et je
serais à la ville.
— Mais gardez les yeux et les oreilles bien ouverts,
m’avertit l’homme. Les ambitions impériales et autres conflits qui en découlent
sont peut-être en train de mijoter à feu doux pour l’instant, mais le tout peut
à nouveau se mettre à bouillir, et vous vous trouverez pris dans le chaudron.
N’oubliez pas que toute personne que vous rencontrez est susceptible d’être un
partisan de Rome ou de Constantinople, à la solde d’Edica et de Babai, ou de
Théodemir. Si d’aventure vous favorisiez l’un d’entre eux, vous adressant en
fait à un serpent en train d’espionner pour le compte de son adversaire, dans
ce cas…
Il me montra ses poignets mutilés.
Je l’assurai que je serais prudent et muet, lui souhaitai
ainsi qu’aux siens un futur plus heureux que leur récent passé, et les quittai.
Mais il advint qu’avant même d’atteindre la fameuse voie
romaine, je fus victime d’une mésaventure. Aucun serpent humain n’y fut
impliqué, mais un vrai, en revanche, si. Le lendemain, vers la fin de
l’après-midi, je fis une pause près d’un étincelant petit ruisseau, sautai de
ma selle pour que Velox puisse aller boire, et m’agenouillai un peu plus haut
sur le bord du cours d’eau pour me désaltérer à mon tour. Je m’appuyai sur ma
main droite contre un rocher noirâtre piqueté de vert. Soudain ces couleurs se
tortillèrent violemment, et je sentis une douleur aiguë à l’avant-bras. De tous
les endroits où j’aurais pu m’appuyer, j’avais choisi celui où un serpent
s’était lové pour se gorger d’un dernier rayon de soleil. Et de tous les
serpents qui auraient pu venir se réchauffer là, ce serpent-ci, vert et noir,
s’avéra être la venimeuse et mortelle vipère.
Je lançai un juron et écrasai instantanément la tête du
reptile à l’aide d’un autre rocher. Mais ensuite, que faire ? Je n’avais
aucune connaissance sur les morsures de serpent, mais je savais que ma vie
était en danger. La seule pensée qui me vint à l’esprit fut que mon juika-bloth, s’il avait été vivant, ne l’aurait jamais laissé me mordre ainsi. Et Wyrd, s’il
avait encore été de ce monde, m’aurait sans doute dit quoi faire.
— Surtout, ne bougez pas ! affirma autoritairement
une voix, qui n’était pas celle de Wyrd.
Je levai les yeux et aperçus un jeune homme debout de
l’autre côté du ruisseau. Il semblait à peu près de mon âge, mais largement
plus grand et mieux bâti. Il portait les cheveux longs et un début de barbe
claire, et était vêtu tel
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