Thorn le prédateur
l’empereur Anthemius a été
assassiné de la façon la plus abominable à l’instigation de son gendre,
celui-là même qui l’avait placé au pouvoir : j’ai nommé Ricimer, le faiseur
de rois. Quarante jours plus tard, ce dernier meurt à son tour, apparemment de
mort naturelle, et l’un de ses protégés, Olybrius, reprend les rênes de
l’Empire d’Occident. Et voilà que maintenant, deux mois après son accession au
trône, Olybrius meurt à son tour. Allons, Tornaricus, dites-nous… Je sais que
vous savez. Qui sera notre prochain empereur, et pour combien de temps ?
— Oui, dites-le-nous, insistèrent d’autres personnes
dans la pièce. Allez, Tornaricus !
— Mais je ne peux pas, fis-je, souriant malgré moi de
leur absurdité.
— Tiens ! Ne vous l’avais-je pas dit ? rugit
Maecius, jubilant. Que ceux d’entre vous qui aspirent à devenir hommes
d’affaires prennent exemple sur Tornaricus. Un homme connu pour garder des
secrets ne les trahit jamais. Par le Styx, j’avoue que j’aimerais bien avoir
vos sources, jeune Tornaricus ! Qui sont vos informateurs ? Ne
pourrais-je vous les acheter ?
— Allons, Tornaricus, insista un autre des anciens. Si
vous refusez de nous dire le nom du successeur d’Olybrius, ne pouvez-vous pas au
moins nous donner une idée de ce qui pourrait survenir à Ravenne dans les jours
et les semaines à venir ? Une révolte ? Une catastrophe ? Quoi
d’autre ?
— Je ne peux pas, répétai-je. Je ne vois rien que je
puisse vous dire sur les affaires de Ravenne.
J’entendis murmurer autour de moi :
— Il sait, mais il ne veut rien dire.
— Notez qu’il n’a pas exclu une révolte. Ni même une
calamité.
— Et pas seulement à Ravenne, a-t-il dit.
Ainsi lorsque trois semaines plus tard, la nouvelle parvint
à Vindobona que le Vésuve avait fait éruption en Campanie, et qu’il s’agissait
de sa plus violente convulsion depuis près de quatre siècles, mes relations me
considérèrent avec un respect et une révérence infiniment renforcés. Tous
tombèrent d’accord pour reconnaître que j’étais omniscient, non seulement en
matière d’affaires, mais également sur tout ce qui avait trait aux dieux.
Je ne cessai, à partir de cet instant, de me faire accoster
à chaque détour de rue et dans les coins dérobés des salles où je me trouvais,
par tel ou tel homme riche sollicitant mon conseil sur la sagesse qu’il y
aurait à investir dans une matière première plutôt qu’une autre… Telle mère de
famille m’interrogeait sur le dernier avis que lui avait donné son astrologue…
Tel jeune homme voulait savoir ce que ses supérieurs hiérarchiques pensaient
vraiment de son travail, et s’il pouvait en espérer de l’avancement… Telle
jeune femme encore, me priait de connaître les intentions de son père au sujet
de celui-ci ou de celui-là, parmi ses nombreux prétendants.
Je leur adressai tous la même fin de non-recevoir –
poliment à mes égaux, froidement à mes inférieurs – car c’est justement en
gardant le silence sur ce dont je ne savais rien que j’avais gagné cette
réputation.
29
J’appris que la haute société de Vindobona était des plus
regardantes quant à la qualité des membres à admettre dans ses cercles privés.
Je devais me rendre compte, d’ailleurs, qu’il en était de même partout dans
l’Empire. Celui qui aspirait à fréquenter les hautes classes de la société ne
se devait pas d’être seulement sociable, de belle prestance et respectable.
Ainsi que le duc Sunnja l’expliqua une fois : « La respectabilité
n’est qu’une vertu. Le premier roturier venu peut aisément l’acquérir. La
dignité, elle, est une véritable gloire. Elle n’appartient qu’à ceux qui l’ont
acquise grâce à leur mérite : à la guerre, dans les lettres, ou au service
de l’Empire. Ils resteront dignes même s’ils dédaignent adopter cette attitude
conventionnelle, étroite d’esprit et satisfaite d’elle-même qui caractérise la
respectabilité. »
La simple possession de richesses ne suffisait pas non plus
pour être admis auprès des meilleurs, d’anciens esclaves pouvant fort bien
avoir acquis une fortune. Les familles que les patriciens regardaient avec le
plus grand respect étaient incontestablement celles dont la puissance était
avant tout foncière. Ensuite, et bien qu’on regardât généralement de haut les
activités de commerce, arrivaient celles devenues
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